Pour faire court historiquement parlant, car trop complexe à expliquer ici, le roman se déroule dans les toutes premières années du XVIIIe siècle en Pologne qui fut envahie par la Suède. Maria Christine von Blohme écrit ses mémoires, revenant en particulier sur le destin de son père surnommé le « Cavalier suédois », tué à la guerre en Russie alors qu’elle n’avait que sept ans. Un destin extravagant qui débute par l’errance de deux hommes compagnons d’infortune, affamés et frigorifiés, un voleur (nommé Piège-à-Poules) et un jeune noble déserteur cherchant à rejoindre l’armée suédoise (Christian von Tornefeld). Le second espère trouver de l’aide chez son parrain dont le domaine est proche et pour la fille du quel il nourrit une passion partagée depuis l’enfance. Christian, trop mal en point, envoie Piège-à-Poules chez son parrain, en ambassadeur, funeste initiative car le voleur va tomber immédiatement amoureux de Maria Agneta, aujourd’hui une belle jeune fille… Les deux hommes vont voir leurs chemins se séparer et la suite du roman recèle tant de rebondissements qu’il m’est impossible de vous les résumer ici.
Toute la beauté du livre réside dans sa construction particulièrement chiadée. Car outre les aventures extraordinaires vécues par ces deux-là, mêlant le fantastique (le fantôme du meunier), l’ésotérique ou le rêve (l’ange et le jugement de Dieu), le picaresque, l’amour et l’émotion, la trahison, que sais-je encore… l’éblouissement provient de l’usurpation d’identité imaginée par l’écrivain, le voleur va endosser la personnalité de Christian pour se glisser dans l’intimité de Maria Agneta et vivre marié plusieurs années avec elle, jusqu’à ce que… Jusqu’à ce que, le destin ou la justice divine, donnez-lui le nom que vous voudrez, n’intervienne pour remettre les pièces du puzzle en ordre, lors d’un dernier chapitre carrément sublime de beauté et d’émotion, venant boucler le récit avec son prologue.
J’ai eu beaucoup de mal à rédiger cette chronique, l’idéal étant de ne rien dire de l’histoire en forme d’anneau de Moebius pour ne pas vous gâcher la lecture, mais comment vous y inciter, sans n’en rien dire ? Sachez aussi que l’écriture s’ingénie à rester dans le ton de l’époque, c'est-à-dire paraître vieillotte avec tournures de phrases ou expressions bien datées. Nombreux, dont l’auteur lui-même (mais un père est-il le mieux placé pour juger de ses enfants ?), voient en ce roman son meilleur ; je me suis longtemps posé la question durant ma lecture, y voyant un sympathique roman de cape et d’épée rondement mené, écrit à l’ancienne, avec du fond certes, mais bon… et puis arrive le dénouement qui enlève le morceau, écrasant tout sur son passage, tant il est magistral de technique narrative et d’émotions induites. Un excellent roman c’est certain, mais son meilleur, je ne sais pas.