Le Sens de ma vie (2014), qui vient d’être réédité en poche, est en fait la retranscription d’un entretien filmé accordé à Radio-Canada en 1980, quelques mois avant le suicide de l’écrivain. S’agissant du verbatim de l’émission, on n’y cherchera ni le style, ni le poli de l’écrit. Par contre c’est un excellent moyen de faire connaissance avec cet homme au destin extraordinaire, cette centaine de pages condensant des faits déjà développés, plus longuement, dans ses deux ouvrages autobiographiques, La Promesse de l’aube (1960) et La Nuit sera calme (1974).
Quelle vie, quel parcours ! Gary arrive en France à l’âge de quatorze ans avec sa mère et tous deux s’installent à Nice. Des études de droit puis il s’engage dans l’aviation et rejoint le général de Gaulle à Londres en 1940. Un premier roman en 1945. Cette même année il entre au Quai d’Orsay en tant que diplomate, ce qui l’envoie à Sofia, New York, Los Angeles, La Paz. Un second mariage avec l’actrice Jean Seberg (1963-1970), laquelle se suicidera en 1980. Des romans et des textes à la pelle, plus d’une trentaine sous son nom et une petite dizaine sous divers pseudonymes. Ajoutons-y la réalisation de deux films dont Les Oiseaux vont mourir au Pérou (1968) et vous n’avez-là que les grandes lignes des occupations diverses du bonhomme.
Quand on entre dans les détails c’est encore plus gratiné, digne d’un roman d’aventure de grande envergure. On y voit le rôle important de sa mère (la fameuse mère juive…) et l’invraisemblable épilogue, l’écrivain ne découvrant que trois après le décès de celle-ci ! Sa ténacité à vouloir combattre l’ennemi et son « attachement total et profond » pour le général de Gaulle, à travers des anecdotes extravagantes. Et dans le genre pas croyable, cet épisode croquignolet autant qu’abracadabrant de chantage sexuel auquel il refusera de se soumettre quand il était diplomate et victime des Bulgares…
Il semble que tout ce qui est dit ici soit globalement vrai, pourtant je ne vous cacherai pas que parfois je me suis interrogé. Un homme ayant tellement bourlingué, usé de stratagèmes pour aboutir à ses fins, de pseudonymes divers en littérature au point d’être fait Goncourt deux fois, d’avoir proposé à son éditeur Gallimard deux fois le même bouquin Les couleurs du jour (1952) et Les Clowns lyriques (1979), un tel homme peut-il être cru sur parole ? Me revenait en mémoire cette célèbre citation « Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende » (L’Homme qui tua Liberty Valence)…
L’entretien s’achève sur une remarque de doute ou de léger désarroi, Romain Gary l’homme d’action, aurait-il été manipulé par la vie/le destin ? « J’ai l’impression d’avoir été vécu par ma vie, d’avoir été objet d’une vie plutôt que de l’avoir choisie… » Quelques mois plus tard, il mettra un terme à cette vie, d’une balle de Smith & Wesson dans la bouche.