Mon plus vieux souvenir de lecture

Par Lebouquineur @LBouquineur

Quand je cherche à me souvenir du premier livre que j’ai lu, et je parle des livres qui se lisent, non de ceux avec des images qu’on déchiffre à la maternelle, deux situations fortes me reviennent spontanément à la mémoire. Dans les deux cas, nous sommes à la fin des années cinquante et je n’ai pas dix ans, peut-être huit.

Je suis à l’école et le maître en blouse grise nous a demandé de sortir nos livres de lecture. Mon bouquin est rangé dans le casier de mon pupitre en bois. Sur le tableau noir derrière lui, le professeur a inscrit à la craie blanche, le nom du texte et l’auteur. Jean-Christophe de Romain Rolland. Dans sa totalité, Jean-Christophe est un roman fleuve d’une dizaine de tomes, dans notre livre de classe on n’y trouvait qu’un passage tiré de L’Aube, le début de l’ouvrage. Nous ouvrons nos livres à la page indiquée et le maître, désignant un élève, lui demande d’en lire quelques lignes, puis un second poursuit la lecture et ainsi de suite.

« Louisa servait les petits : deux pommes de terre à chacun. Lorsque venait le tour de Christophe, souvent il n’en restait que trois sur l’assiette, et sa mère n’était pas servie. Il le savait d’avance, il les avait comptées, avant qu’elles arrivent à lui. Alors il rassemblait son courage, et d’un air dégagé : – Rien qu’une, maman. Elle s’inquiétait un peu. – Deux, comme les autres. – Non, je t’en prie, une seule. – Est-ce que tu n’as pas faim ? – Non, je n’ai pas grand’ faim. » Et l’auteur de poursuivre ainsi sur une page ou deux, la description de la connivence muette et tendre entre la mère et l’enfant.