C'est le "Daily Heller" qui lance l'alerte: "L'artiste polonais et designer Stasys Eidrigevicius", écrit Steven Heller, "qui a été présenté à plusieurs reprises dans le "Daily Heller", a un sosie, ou plutôt ce qu'il décrit comme un copieur russe (un "Rosyjski kopista"). La copie peut être la plus grande forme de flatterie, mais l'emprunt est problématique. Une fois, deux fois, trois fois, c'est une influence, mais plus que cela... S'inspirer et copier la technique d'un maître fait partie de la tradition artistique, mais le dossier que Stasys a réuni suscite des questions. Espérons que dans le cadre du récent expansionnisme de Poutine, la Russie ne tente pas également d'annexer la propriété intellectuelle."
Et de présenter les originaux de Stasys Eidrigevicius à gauche et les travaux du "Rosyjski kopista" à droite.
Pas besoin d'ajouter quoi que ce soit.
Stasys Eidrigevicius est ce créateur né en 1949 en Lituanie, pays de sa mère où il passera son enfance et sa jeunesse (il fera des études d'art à Vilnius), mais de père polonais. Ce n'est qu'en 1980 que ce grand voyageur, à l'affut de l'art aux quatre coins du monde, obtient l'autorisation de résider en Pologne. Il s'installe à Varsovie. Peintre et graveur, il affirme vite son style mêlant noirceur profonde et éclats de couleurs. On reconnaît de loin les regards vides de ses visages allongés. Très vite, il se fait repérer partout dans le monde de l'illustration et récolte de multiples récompenses. A Bologne, on remarque en 1985 son affiche réalisée dans le cadre de l'année internationale de l'enfant. L'année suivante, c'est Barcelone qui le met à l'honneur. Suivront en 1992 Bratislava et tout ce qui compte dans l'édition jeunesse.
Les traductions françaises de ses livres ont malheureusement largement disparu ces dernières années, victimes des bouleversements éditoriaux, à l'exception d'un récent album de François David qu'il a illustré, "Le garçon au cœur plein d'amour" (Motus, 2010).
"La Reine des neiges".
Mais ils avaient enchanté les années 1980 et 1990. En français nous sont notamment parvenus ses images sur des contes classiques dont "La Reine des neiges" d'Andersen (Grasset Jeunesse, 1984).
In "Le Chat botté".
In "Le Chat botté".
Sans oublier sa version interpellante du "Chat botté" de Perrault (Nord-Sud, 1990): remplie de symboles, énigmatique, repliée sur elle-même. Le conte se déroule dans un monde de ténèbres que ne réchauffe que la pointe de rouge utilisée pour les bottines du chat. Les regards des personnages sont étranges; fixes, sans paupières, ils font songer à des masques mortuaires. Aucune légèreté dans cette interprétation, aucun plaisir gratuit. Au contraire, l'illustration est sombre, inquiétante. Réfléchie, symbolique aussi. Le chat apparaît parfois si terrifiant qu'on se demande s'il n'est pas ogre lui-même (ne porte-t-il pas les bottes qui en sont l'attribut). Stasys Eidrigevicius s'est livré à une lecture critique du conte de Perrault sans renoncer à mettre en images les peurs terribles, enfouies au plus profond d'eux-mêmes, des enfants. Fort, l'album touche à l'âme et atteint l'effet libératoire du conte.