Jane Eyre - Charlotte Brönte *****(*)

Par Philisine Cave
Je ne sais pas si je vais me remettre de Jane Eyre de Charlotte Brönte. Je ne sais pas si je pourrai trouver un roman plus abouti, plus sublime après ce chef d'oeuvre, qui mériterait d'ouvrir une sixième catégorie sur ce blog : celle des six étoiles ! Jane Eyre, orpheline à l'âge d'un an, est recueillie par son oncle maternel, M. Reed. Mais très/trop tôt, ce dernier décède et emporte avec lui bienveillance et empathie à l'égard de la petite qui va subir les foudres et les attaques de sa tante par alliance et de ses cousins germains. Le combat pour une vie meilleure ne fait que commencer et ça tombe bien : Jane Eyre est une winneuse ! (anglicisme volontaire du fait de l'origine de l'héroïne)
Le roman Jane Eyre se compose en cinq parties fondamentales : la petite enfance chez les Reed, l'internat, le premier emploi chez M. Rochester et deux autres périodes dont je tairai le sujet pour que le mystère plane. Tout m'a plu et m'a bouleversée dans cette histoire. Rarement, mon petit cœur de pierre ne s'est serré autant à la lecture des états d'âme de l'héroïne et de son pendant masculin, aussi fantasque qu'elle est sérieuse. Les deux nous offrent une danse nuptiale de courte durée, un long processus d'attirance, jalonné de joutes verbales, de poésie et de comédie.
Il y a assurément beaucoup de fantaisie dans cette œuvre classique et c'est ce qui en fait son charme et sa profonde modernité. Bien sûr, le langage usité ne représente plus notre français actuel. Mais la façon qu'a Charlotte Brönte de gérer ses personnages et son intrigue est indubitablement rafraîchissante et novatrice : pas de temps de pause, peu de descriptions à rallonge, une prouesse à alterner différents registres (suspense policier, romance, récit mystique avec les voix, manifeste pour l'éducation des jeunes filles). Même, la période Moor-House, la moins fun avec l'internat, est esquissée par l'auteure sans pesanteur, juste le temps d'y dévoiler le message politique de son œuvre : l'importance de l'instruction féminine, afin de rendre les jeunes filles moins sujettes au joug masculin, plus autonomes et aptes à penser. Et même là, elle m'a intéressée. Jane Eyre, premier roman d'une jeune femme anglaise du XIXème siècle, est époustouflant de maîtrise et de beauté littéraires. Rares sont les personnages aussi fouillés, rarement une déclaration d'amour par une frêle demoiselle ou une scène avec un verre d'eau ne m'ont autant chamboulée.
Alors, on pourra décrier ce qu'on veut sur le côté poussiéreux de Jane Eyre : au contraire, j'y découvre la classe suprême. Charlotte Brönte ne cesse d'alterner les clairs-obscurs : elle atténue la malveillance familiale de Madame Reed par la surveillance rapprochée (du moins par le cœur) des oncles, elle présente un être d'amour (embelli par sa générosité intrinsèque) héritier d'un couple courageux qui a choisi le bannissement plutôt que la froide raison, elle s'amuse à brouiller les pistes avec la religiosité de certains protagonistes (tantôt le repentir et la rédemption, tantôt l'absolue dévotion), titille les Français (on en prend plein notre grade avec les starlettes Adèle et sa cocotte de mère biologique) mais loue notre idiome en parsemant son texte d'expressions gauloises (signe de distinction langagière à l'époque, passion de l'auteure à l'égard de cette langue, assurément). Jane Eyre est un récit tellement complet, riche d'allusions qu'une chronique, ici, ne suffira pas à capter tous les éléments, à décrire toute la lumière et la puissance.
Alors un conseil : lisez ce texte magnifique, s'il vous plaît, s'il vous plaît, s'il vous plaît !
Éditions Le Livre de Poche 
Superbe traduction de Charlotte Maurat [une Charlotte qui traduit une autre Charlotte : un prénom totalement classe :-) ]
L'adaptation en mini-série de la BBC en 2006 avec Ruth Wilson et Toby Stephens est juste sublime (images, jeu d'acteurs, mise en scène, choix du déroulé, musique) et très fidèle à l’œuvre originale. Les comédiens sont les personnages, hyper charismatiques et sexy, sans être des bombes. Franchement, courez aussi le voir ! (oui, je sais, je vous en demande beaucoup mais vous ne risquez que des moments fantastiques)