Va et poste une sentinelle

Par Marie-Claude Rioux
Une fois n'est pas coutume... Je retranscris l'article de Sonia Sarfati parue le 1er  novembre dans La Presse+. Elle exprime, mieux que je ne saurais le faire, ce que j'ai pensé du dernier roman d'Harper Lee. Le roman serait sorti portant un autre nom sur la page couverture que celui de Harper Lee, il serait passé à peu près inaperçu.On en aurait dit que ce Va et poste une sentinelle est un portrait pas inintéressant du sud des États-Unis du milieu des années 50, alors que le pays se déchirait à propos des questions raciales.On y aurait aussi vu un roman porté par une jeune femme vibrante qui vit à New York, affranchie des valeurs prévalant toujours dans son Alabama natal, valeurs auxquelles elle refait face en allant visiter son vieux père. Lequel se défend bien d'être raciste, mais est, pour de bonnes raisons (!), membre du conseil des citoyens de la ville de Maycomb. Un conseil qui défend la suprématie de la race blanche.Au fil d'un récit alourdi par des digressions loin d'être essentielles, les échanges entre père et fille donnent lieu à des pages parfois éclairantes, parfois interminables et empesées par des discours maladroits.Ce qui sauve l'ensemble est, vraiment, Jean Louise. Elle est frondeuse, elle est vive, elle est spontanée. Elle n'a pas la langue dans sa poche.On le voit, pas de quoi déclencher la controverse.Mais.Il se trouve que la fameuse Jean Louise, nous sommes des millions à la connaître. Enfant, elle était surnommée Scout. Elle était et est toujours la fille d'un avocat intègre, éloquent et progressiste: en ces années 30, il avait accepté de défendre un jeune Noir accusé d'avoir violé une femme blanche. Son nom: Finch. Atticus Finch.

                                                                                                                                                                         © Tom Clohosy Cole

Va et poste une sentinelle est en effet la suite du mythique Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur. Resté unique roman de Harper Lee pendant plus d'un demi-siècle. Mais écrit avant le livre qui a valu à son auteure le prix Pulitzer en 1961. Le manuscrit en avait été refusé. On lui avait conseillé de creuser une des digressions. Elle avait choisi le fameux procès, avec le succès que l'on sait.

Et là, de voir ce héros qu'est Atticus Finch devenu vieillard raciste est d'une tristesse extrême. Un choc. Vraiment. Et une source de colère devant une trahison de lèse-personnage: il est impossible d'emboîter l'Atticus des années 30 à celui des années 50. Comment est-il passé de l'un à l'autre? Silence radio là-dessus.On comprend de cela que le manuscrit trouvé a probablement été publié tel quel, sans tenir compte de ce que Harper Lee a développé par la suite et qui a donné naissance à Ne tirez pas sur l'oiseau moqueurC'est parce qu'il fait partie d'un diptyque qui le colle à un monument de la littérature américaine que Va et poste une sentinelle est sorti de l'anonymat qui l'aurait attendu dans d'autres circonstances.Il n'y aurait pas eu là de controverse. Le roman ne se serait probablement pas beaucoup vendu. Présenté comme la suite de L'oiseau moqueur, il fait du bruit et s'écoule comme des petits pains chauds. Ceci explique (malheureusement) cela. Va et poste une sentinelle, Harper Lee, Grasset, 332 pages, 2015.