3 livres d'auteurs brésiliens contemporains

Par Charlotte @ulostcontrol_

Hello,
En découvrant la littérature brésilienne j'ai aussi découvert la littérature marginale, représentée en France par les Editions Anacaona. Vous en avez peut-être déjà entendu parler, la littérature marginale est une dimension de la littérature brésilienne héritée de La Cité de Dieu de Paulo Lins, représentée par des auteurs qui ont grandi dans les favelas et qui veulent faire entendre leur voix. Loin d'eux l'idée d'emmener la culture dans les favelas : « elle y est déjà », répondent-ils. Engagée et créative, la littérature marginale a aujourd'hui pour but de montrer la puissance de la culture périphérique. Petit aperçu avec ces trois livres, chacun extrait d’une des trois collections des éditions Anacaona.

Du bétail et des hommes, ana paula maia

Edgar Wilson travaille dans un abattoir comme assommeur de boeufs. Maillon d'une chaîne de production de hamburgers qu'il n'a jamais goûtés, il exerce avec savoir-faire son travail de tueur - d'assassin ? - mais est confronté à la mort inexpliquée de ses vaches. Voleurs de bétail ou malédiction ? Les travailleurs analphabètes de l'abattoir vont mener l'enquête avec les moyens du bord.

On retrouve dans Du bétail et des hommes le même Edgar Wilson que dans Charbon animal (dont je vous ai parlé ici >>). Après avoir quitté son travail à la mine, il est en effet devenu abatteur de bœufs. Bizarrement, l’abattoir dans lequel il travaille souffre de disparitions mystérieuses. Les vaches se volatilisent de manière incompréhensible et le coupable semble impossible à démasquer. Phénomène surnaturel ? Vol de trafiquants ? Prédateur animal ? Accompagné de ses collègues, Edgar Wilson va mener l’enquête à sa façon : en se fiant plus à son instinct qu’à la raison.
Comme dans Charbon Animal, l’écriture d’Ana Paula Maia est dépouillée, réaliste, quasiment clinique. Si l’environnement et les personnages qu’elle décrit sont soumis à la violence, cela ne nous empêche pas de trouver beaucoup de sensibilité dans ces quelques pages, car Edgar Wilson est tout sauf une brute insensible : il est le premier à souffrir de son statut de meurtrier, « Quotidiennement, c'est lui qu'il voit quand il tue - car il a appris à avoir sous la membrane qui recouvre l’œil de l'animal », et ne manque pas de recommander l’âme des vaches à Dieu avant de les assommer. A l’image de la force des coups d’Edgar Wilson, la puissance qui se dégage de ce texte est quasiment paralysante. Ana Paula Maia a décidément a le don de nous pousser dans nos derniers retranchements et de nous mettre à l’épreuve à travers des personnages masculins étonnants et sincères. Leur travail est une fois de plus au coeur du récit et les marque du sceau de la fatalité : « Il faut bien que quelqu'un fasse le sale travail. Le sale travail des autres. Personne ne veut faire ce genre de choses. C'est pour cela que Dieu met au monde des gens comme toi et moi. » On ressort de cette lecture transformé par l’humanité inattendue de ces personnages et surpris de ce dénouement. Un second roman que j’ai adoré et qui fait sans aucun doute d’Ana Paula Maia une de mes auteurs préférés.

« Une vache s’approche d’Edgar. Elle déplace majestueusement ses flancs, avec lenteur, tout en mâchant une poignée d’herbe. Il caresse la tête de l’animal. La vache a un losange marron sur le chanfrein. Il se souviendra d’elle quand ils seront de nouveau face à face. Il termine sa cigarette et se dirige vers le box d’étourdissement. Il soupire lourdement. Voilà son travail, le seul qui lui permette de vivre. Il regarde derrière lui et voit les ruminants qui paissent tranquillement, en groupe ou isolés. Bientôt, il les retrouvera tous et sera face à face avec eux ; lui, la bête assassine. » chapitre 2, page 31.

>> Du bétail et des hommes fait partie de la collection Epoca “La diversité des voix brésiliennes”. Nos os, Marcelino Freire

De Sao Paulo au Nordeste du Brésil : quatre mille kilomètres séparent l'utopie urbaine du paradis rural en émotion crescendo.

Il y a quelques années, Heleno a quitté sa famille et son petit village du sertão pour tenter sa chance comme dramaturge à São Paulo. Écrivain de talent, l’accumulation de prix littéraires ne suffisent pourtant pas à combler le manque de son village et le désespoir dans lequel cet exil l’a laissé. La mort de son "petit-ami" prostitué déclenche chez Heleno une multitude d'émotions : saudade du village de son enfance, souvenirs amers de son arrivée à Sao Paulo et angoisse de l'avenir se réveillent à l’occasion de ce drame et le poussent à mener son dernier combat, son dernier défi. Si Poncia (rencontrée ici >>) a fait le voyage aller, du Nordeste jusqu’à Sao Paulo, Heleno va faire le voyage retour en se faisant un devoir de ramener le corps de son amant sur sa terre natale.
Beaucoup de thèmes se recoupent dans le roman de Marcelino Freire : homosexualité, prostitution, exil, maladie et dramaturgie sont au cœur de ce texte et au cœur de la vie du héros, Heleno. Dans ce texte que l’on pourrait lire comme un long monologue intérieur, Heleno nous livre ses émotions, ses sentiments, ses déceptions et ses peines, comme si après avoir écrit de nombreuses pièces de théâtre et après avoir composé les dialogues de tous ses personnages, il prenait enfin le temps d’entrer en scène et d’accomplir son propre destin. On comprend petit à petit, au fur et à mesure de la succession des chapitres et de l’alternance entre réminiscences et réflexions à chaud, que tous les éléments de la vie d’Heleno convergent vers le même point et s’assemblent pour donner un sens à sa vie et à la mort. Roman de l’exil et du retour à ses racines, Nos os est un roman dont on s'imprègne avec avidité et au son duquel on se laisse facilement bercer.

« Si un jour j’avais imaginé cette histoire, on m’aurait dit que ce n’était pas plausible, toute pièce de théâtre, il est bon de le dire, doit s’astreindre à une cohérence interne, obéir à des règles spécifiques, et respecter, sans faiblir, la vraisemblance.
Même si notre réalité est celle-là, c’est-à-dire absurde, il y a des limites très claires pour la création, j’en suis même venu à me demander si je n’étais pas fou, si tout ça ce n’était pas des histoires dans ma tête, cela fait un bout de temps que je n’écris plus une ligne, mon dernier texte s’appelait L’Arbre de la fin du monde. » p.61

>> Nos os fait partie de la collection Terra “romans de la ruralité au Brésil”.
Manuel pratique de la haine, Ferréz

Au Brésil, dans la favela, Régis, Magicien, Lúcio la Foi, Neguinho et Aninha planifient le braquage parfait. Sans perspective de futur, tombés dans l’engrenage cruel de la haine, poussés par une faim ultime, ils tuent, aiment ou meurent dans des proportions démesurées.

Nés dans les favélas de São Paulo, Aninha, Régis, Celso le Démon, Neguinho Tache-à-la-main, Lucio la foi et Magicien ne connaissent qu’une seule façon de vivre : celle de la faim, de la haine et de la violence. Ils mènent une vie faite de petits braquages, de vols et de magouilles en tous genres lorsqu’ils décident de viser plus grand, faisant fi de la concurrence entre les clans et des policiers corrompus. Sans s’en douter, ils se jettent dans la gueule du loup et courent droit à la catastrophe.
Ferréz est un des principaux auteurs de la littérature marginale au Brésil. Avec son Manuel pratique de la haine, il nous présente une histoire dans la lignée de La Cité de Dieu de Paulo Lins -qui signe d’ailleurs la préface du livre. On y retrouve le même type de personnes, d’histoires et d’anecdotes glauques, le langage oral et spontané fait écho à la langue parlée et chantante de Paulo Lins. Les caractères des personnages et les situations vécues sont décrites avec un réalisme cru, sans pudeur, et donnent ainsi à voir toute la misère et la pauvreté des habitants de São Paulo. Dans cette vaste critique de la société brésilienne, Ferréz met à nu les préjugés des riches et le destin tragique qui guette fatalement ses personnages. La raison pour laquelle je préfère le Manuel pratique de la haine à La Cité de Dieu est que le livre de Ferréz bénéficie d’une toile de fond sous forme de roman policier-thriller. Une vraie intrigue prenant des allures d’enquête se révèle petit à petit, permet à toutes les petites histoires individuelles de s’agglomérer en un scénario plus ambitieux et enlève à ces personnages leur caractère anecdotique pour leur donner une dimension quasiment symbolique. Un très bon polar brésilien à ne pas manquer si vous aimez les histoires authentiques, violentes et sans concessions.

« La patronne de la mère de Régis dit un jour une chose qu’il garda en lui pendant tout ce temps, et qu’il considère comme le point de départ de sa révolte, le début de toute la haine qu’il nourrit envers ceux qui ont ce qu’il a toujours voulu avoir, de la thune. Un jour, alors que sa mère et la patronne discutaient, la patronne demanda dans quel quartier ils habitaient, sa mère répondit, la patronne demanda dans quel quartier ils habitaient, sa mère répondit, la patronne caressa la tête du petit et dit :
- Mais alors, c’est ce gamin qui viendra me cambrioler quand il sera grand ?
Régis ne compris pas la blague, sa mère non plus ne comprit pas ce que la patronne voulait dire, mais elle imita la patronne qui riait, la patronne était pliée de rire et la mère de Régis essayait d’accompagner celle qui lui donnait un salaire tous les mois, qui nourrissait sa famille, après tout la patronne avait fait tellement d’études qu’elle devait avoir raison de trouver drôle que le fils de sa bonne soit potentiellement un futur marginal. » p.42-43

>> Manuel pratique de la haine fait partie de la collection Urbana “romans engagés de l’urbanité au Brésil”.

Un parti pris graphique, des collections soignées et mûrement réfléchies, des formats pertinents et reconnaissables, des matières agréables et qui ont du sens, des citations glissées entre les pages d’un livre, des collaborations avec des artistes graphiques et des photographes… les livres des Editions Anacaona se regardent en plus de se lire.

J'espère vous avoir donné envie de mieux connaître la littérature brésilienne et les Editions Anacaona ! Connaissiez-vous cette maison d'édition ? Y a-t-il une ou plusieurs maison(s) d'édition que vous aimez particulièrement ou que vous avez découvert récemment ?


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