LA dore l'exposition du cinéaste Tsai Ming-liang au Kunstenfestivaldesarts (Cinéma Galeries)

Par Lucie Cauwe @LucieCauwe

Tsai Ming-liang lors de l'Art Talk du LVMH/KFDA.


Tsai Ming-liang, on le connaît depuis un petit bout de temps en tant que réalisateur qui compte dans le cinéma taiwanais (il a fait ses études à Taipei), et même mondial depuis que son film "Vive l'amour" a obtenu le Lion d'Or à la Mostra de Venise en 1994; depuis, il a été régulièrement récompensé à Berlin,  Cannes et Venise encore. Se rappelle-t-on que c'est lui qui inaugure en 2009 le programme "Le Louvre s'offre aux cinéastes" avec le film "Visage"?
Ensuite, Tsai Ming-liang, né en Malaisie en 1957, s'oriente vers les arts plastiques et les installations. Il participe aux Biennales de Venise ("It's a dream"), de Shanghai et de Nagoya. En 2011, il refait du théâtre ("Only you"), genre qu'il n'avait plus pratiqué depuis vingt-sept ans.

Ce que voit en premier lieu le visiteur de l'installation au Cinéma Galeries.


Ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est que depuis 2012, Tsai Ming-liang travaille à un long projet. Il filme la marche lente du moine bouddhiste Xuan Zang, interprété par Lee Kang-sheng, son acteur fétiche, son alter ego. On voit dans ces films magnifiques qui se déroulent en différentes villes l'homme au crâne rasé, drapé de rouge et pieds nus, avancer à son rythme, insensible au brouhaha qui l'environne.

Une vue de l'installation "Walker".


L'installation "Walker" est proposée dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts au cinéma Galeries, avec le soutien de LVMH. En un lieu inhabituel, que la majorité des Bruxellois ne connaissent sans doute pas, les incroyables souterrains voûtés situés sous la Galerie de la Reine! Des dizaines de mètres sous terre, dont l'ambiance feutrée met merveilleusement en valeur les six films projetés en différents endroits du lieu. D'une vingtaine de minutes chacun, sauf un qui dure 56 minutes, ils renvoient chaque spectateur à la valeur du temps.
Tsai Ming-liang en dit:
"Avec cette série de films "Walker", je désire que le spectateur puisse méditer sur cette question: est-ce que voir un homme qui marche, qui est en mouvement, mais sans avoir de but et sans parler, peut être considéré comme une œuvre cinématographique? (...) Ces films visent à permettre au spectateur de repenser dans leur quotidien leur rapport au temps et à l'espace. Ils sont un moyen de prendre la pulsation de chaque lieu et d'en faire ressortir son rythme propre, d'en prendre la température en quelque sorte."



Les six films autonomes projetés dans le cadre de l'installation vidéo "Walker" sont "Sleepwalk" (2012, 20'), "Diamond Sutra" (2012, 20'), "Walking on water" (2013, 29'), "Journey to the West" (2013, 56'), "No form" (2012, 20') et "Walker" (2012, 26').
A noter que l'acteur Denis Lavant apparaît dans "Journey to the West",  le film qui a été tourné à Marseille, quand la ville a été capitale européenne de la culture. Le moine y circule comme dans les autres, imperméable au brouhaha citadin. Il y descend des escaliers qu'on reconnaît européens, à son rythme d'escargot, quand à ses côtés les passants les dévalent à toute allure. Dans les autres vidés, l'environnement est davantage asiatique. "Je ne l'arrête jamais", dit à son propos Tsai Ming-liang. "Je le laisse marcher." Contraste assuré.
Lors d'un "Art talk" mardi soir, Tsai Ming-liang a répondu aux questions de  Christophe Slagmuylder, directeur du Kunsten, qui a tout de suite mis en évidence combien nous sommes contaminés par le temps.
Extraits choisis.
Sur ce qui a amené le réalisateur à passer du cinéma aux expositions.
"Parce que mon cinéma ne se vend pas. C'est la vérité, ce n'est pas une blague. Il est étrange comme j'ai eu des fans et des sponsors en Europe durant vingt ans. L'Europe culturelle m'a donné tellement d'idées. Ce qui ne se passe pas aux Etats-Unis. Là, les producteurs font des films uniquement pour faire des bénéfices. En Europe, on ne fait pas du cinéma uniquement pour les gains."

Sur "Walker", interprété par Lee Kang-sheng.
"Dans chacun de mes films, je demande à mon acteur une performance extrême, comme de marcher très très lentement. Dans mes films, tout est vrai. Même dormir, même manger. Pour moi, le cinéma doit montrer la réalité, pas la fiction. Je ne peux pas accepter que le public soit intéressé seulement par la fiction. Je ne crois pas vraiment aux performances ou aux dialogues dans les films. Tous mes acteurs sont priés de jouer comme dans la vie réelle. Le public doit accepter que ce soient leurs vraies actions et non des performances."

Sur la vitesse, tellement valorisée par notre société.
"Le corps et la ville sont importants dans mon œuvre, ainsi que le rapport entre les deux. Aujourd'hui, il n'y a plus d'espace pour le corps dans la ville. Les villes mortes mangent les gens. Mes films sont de plus en plus lents, parce que je suis vieux, parce que je ne peux pas aller plus vite, parce que j'ai besoin de liberté. J'ai beaucoup de chance parce que j'ai eu beaucoup de liberté dans ma vie."

Sur le moine bouddhiste Xuan Zang.
"Ce moine du millénaire dernier est une pièce maîtresse du bouddhisme. La vie peut-elle échapper à ses racines? Les feuilles de l'arbre vont, en finale, vers les racines. Moi, je suis né en Malaisie. A vingt ans, je suis allé à Taiwan. Je ne suis jamais retourné en Malaisie. J'ai la nationalité de ce pays mais je n'ai pas l'impression d'être de là. Mes amis sont à Taiwan."


 
En parallèle à cette exposition ouverte jusqu'au 25 mai se tient au même cinéma Galeries (26 Galerie de la Reine, 1000 Bruxelles)  une rétrospective complète de l’œuvre du réalisateur.
Enfin, une performance intitulée "The Monk from Tand Dynasty" sera créée les 3, 4, 6 et 7 mai à 20 h 30 dans l’ancien Cinéma Marivaux (98, Boulevard Adolphe Max, 1000 Bruxelles).
Elle met en scène la vie du même moine bouddhiste Xuan Zang, que l'on voit dans "Walker". Né en 602, ce moine voyageur, traducteur, étudiant, parcourut la Chine à la recherche de textes sacrés du Bouddhisme. Il voyagea durant dix-neuf ans, jusqu'en Inde!