Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique
L’inconnue du parking
Une femme sans passé, un homme en quête de sens, une ville-théâtre comme décor. Dans « La Fille d’Avignon », Francesca Rizzoni orchestre la rencontre de deux solitudes sous les feux de la création. Un premier roman très réussi.
Lorsque Louis va récupérer sa voiture garée dans le parking souterrain du Palais des Papes à Avignon, il découvre une mendiante dont tout le monde semble se désintéresser. Après avoir raclé ses fonds de poche et laissé quelques pièces, il revient sur ses pas et essaie d’en savoir plus sur la pauvre inconnue, mais cette dernière reste mutique. Happé par son regard troublant il décide de lui venir en aide, de la confier aux services sociaux. Mauvaise pioche ! Elle prend peur devant le commissariat et le supplie de ne pas la laisser aux mains des autorités.
Le directeur du Théâtre Garance décide alors de la prendre sous son aile et va loger la femme enceinte qu’il a décidé d’appeler Geneviève – la Sainte du jour – dans un studio d’appoint mis à disposition des gens du spectacle durant le Festival.
Geneviève, toujours aussi silencieuse, le remercie en lui baisant la main. Dans les jours qui suivent, il va lui acheter chaussures et vêtements, de quoi remplir son réfrigérateur. Très vite un rituel s’installe, il achète à manger et elle cuisine pour deux.
« Il se passe du temps. Un peu. Louis n’ose plus penser qu’il a maintenant presque charge de famille. Il se sent presque vivre un couple bancal. Avec une inconnue qui lui manque dès qu’il rentre chez lui. Et qu’il mordrait de ce silence qu’elle lui impose. Ils mangent ensemble dans le petit logement du théâtre. Louis continue de se confier. Ses espérances d’adolescent, son parcours au conservatoire, sa façon de diriger les comédiens, en douceur, d’aller chercher leurs émotions et aussi leur regard froid sur le rôle… Geneviève continue de lui rendre des feuilles vierges sans un mot écrit à chaque question sur ses origines, comme si elle voulait rater un examen, un concours, rendre copie blanche. »
C’est au moment de l’accouchement, alors que Louis est à Paris pour une formation, que les choses vont se précipiter, que la vérité sur l’identité de Geneviève va éclater. À son retour, la mère et son enfant ont disparu, le laissant désemparé. Mais les pièces du puzzle, son histoire, celle de l’inconnue, de la pièce de théâtre qu’il a imaginé à partir de leur rencontre vont alors s’emboîter…
Dans ce court roman, Francesca Rizzoni dit son amour du théâtre, de la mise en scène – quand il s’agit de faire vivre les personnages, de les exposer – et des mots couchés sur le papier. Surtout quand ce sont des mots d’amour. Alors, ils peuvent transcender la souffrance, panser les traumatismes, tracer un avenir. Alors le silence laisse place à l’espoir, le désir à l’amour, le mensonge à la vérité. Alors chacun retrouve son identité, son histoire.
La Fille d’Avignon parle de filiation et d’identité, d’hospitalité et de mémoire, avec pudeur et justesse. Son écriture discrète épouse les gestes simples et les silences éloquents. Il y a dans ce roman une grâce douce, une manière de dire l’indicible sans jamais forcer la voix. Bel hommage à la création théâtrale et au Festival d’Avignon, ce roman est aussi une belle promesse, celle de voir une éclore une romancière à la prose délicate, qui sublime avec grâce une grande palette de sentiments.
La Fille d’Avignon
Francesca Rizzoni
Éditions Héliopoles, coll. Serge Safran
Premier roman
88 p., 10,90 €
EAN 9782379851230
Paru le 28/08/2025
Où ?
Le roman est situé à Avignon. On y mentionne aussi Paris, Châteauneuf-du-Pape et Villeneuve ainsi que Los Angeles.
Quand ?
L’action se déroule de nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
Dans les souterrains du Palais des Papes, une femme enceinte et mutique, que l’on appellera Geneviève, surgit de l’ombre. Recueillie dans les coulisses d’un théâtre d’Avignon, elle bouleverse la vie de Louis.
Premier roman de Francesca Rizzoni, passionnée de théâtre, La Fille d’Avignon est une œuvre troublante sur le silence, le désir, le mensonge et les identités mouvantes. Un texte incandescent où le mystère épouse la scène.
« C’est une histoire de jeu, de séduction, de silence et de mensonges. »
Les critiques
Babelio
Les premières pages du livre
« Elle est à genoux sous la place du Palais des Papes. Dans l’entrée du parking souterrain au cœur d’Avignon. Au bas de l’escalier d’où dévale une populace pressée de retrouver sa voiture. Dans le bruit des moteurs et le chuintement des pneus amplifié par le béton. Dans le ding-ding de la caisse automatique, elle est à genoux au milieu d’une maigre flaque. Parce qu’il pleut là-haut, sur la ville, une pluie d’hiver qui lave les calades de l’immense esplanade, et qu’on replie les parapluies devant elle sans la regarder, sans la voir.
Elle a les yeux au-delà de tout, droit devant elle, même pas un battement de cils, parfaitement immobile.
Louis, un maigre échalas, juste quarante ans, est peut-être le premier à s’arrêter près d’elle, secouer l’eau de sa tignasse brune, éponger ses paupières de sa paume, et se trouver face à cette jeune femme à deux genoux qu’on laisse grelotter dans le froid de début janvier et cette humidité. Louis en reste ébahi : comment peut-on ignorer cette détresse ?
Il fouille les poches de sa veste trempée, sort toute sa monnaie, la verse dans le gobelet que tient la jeune femme. Et sans réfléchir il se penche et dépose un baiser sur son front. Alors elle tourne la tête vers lui et son regard jamais Louis n’en a vu un pareil, qui dise une sorte d’amour et d’abandon. Elle porte une robe longue, en coton, ras du cou, manches aux poignets, moulante.
Et Louis reste là, un instant, sidéré, demande:
— Vous habitez où ? Je peux vous reconduire ? Est-ce que votre famille. ? Vous avez un mari, un compagnon… ?
Pas de réponse. Louis, assez interdit de ce silence, bredouille un prenez soin de vous, fouille à nouveau ses poches, trouve ses clés d’auto, pousse la porte du parking, fait deux pas avant de se retourner, revenir à la jeune femme, de lui prendre le bras, de l’aider avec délicatesse à se lever, d’attraper le petit sac de plastique bleu qu’elle traîne. Sans réfléchir. Il ne sait pas de quoi il se mêle, s’interroge, qu’est-ce qu’il est en train de faire ?
— Vous ne pouvez pas rester là. Venez. N’ayez pas peur.
De nouveau elle a ce regard venu de plus loin que tout et Louis, ébloui, croit que personne ne l’a jamais aimé autant. Il en perd le nord, bredouille:
— C’est quoi votre nom? Votre prénom?
Elle sourit mais reste muette. Il insiste, elle se contente de garder les yeux dans ceux de Louis. Elle est blonde, les cheveux courts, des yeux d’eau claire, belle à pleurer.
Louis en est tout chose, se raccroche à une pratique de ses parents, lui né un 25 août où on célèbre les Louis.
— Bon, ben on est le 3 janvier ? C’est la saint quoi?
Il a parlé tout haut et une vieille dame en attente de son ticket devant la caisse, lui répond: sainte Geneviève.
Il prend le bras de la jeune femme, l’aide à se lever, sûr qu’elle a subi un choc, une agression, est perdue, abandonnée, traumatisée, amnésique peut-être. Faut qu’il l’emmène à la gendarmerie, qu’elle soit prise en charge.
— Pour l’instant, vous serez donc Geneviève. Venez, on va à ma voiture. Je vous emmène où vous pourrez vous sécher, manger quelque chose… On va s’occuper de vous, et on trouvera une solution pour après.
Et il pousse la porte du parking, fait bien attention que rien ne heurte la jeune femme.
Parce qu’on ne peut ignorer qu’elle est enceinte d’au moins sept mois.
CHAPITRE 1
Il pleut toujours quand Louis sort du parking sous le Palais des Papes pour prendre le long du Rhône vers l’avenue Saint-Roch. Geneviève est installée à la place du passager dans le vieil Espace. Elle a laissé Louis boucler sa ceinture avec plein de précautions, serre son pauvre sac de plastique sur son cœur. Et elle reste immobile, ne répond toujours pas aux questions, est-ce qu’elle est d’Avignon, du Vaucluse, faut-il prévenir quelqu’un, appeler un numéro ?
Jusqu’à ce que Louis cherche à se garer près du siège de la police nationale. Elle voit l’enseigne tricolore, se débat sans attendre que Louis coupe le contact, veut ouvrir la portière, se libérer, fuir, avec des gémissements de chiot maltraité, une violence étonnante… Alors Louis ose poser une main sur la cuisse de la jeune femme.
— Chut. Restez calme, n’ayez pas peur, on va faire autrement… Je vous emmène dans un endroit sûr… Vous serez bien, le temps de récupérer…
Là encore, il ne sait pas pourquoi il s’embarque avec cette inconnue. Prend le risque de veiller sur cette jeune femme qui ne lui est rien. Elle est peut-être recherchée, coupable d’un délit, ce qui expliquerait sa situation clandestine dans le parking, sa peur des flics… Non, elle n’est personne mais elle a eu ce regard d’éternité quand il lui a embrassé le front.
Alors il hésite à l’aider à descendre de voiture, rue Guillaume Puy, presque à l’angle avec la rue des Teinturiers, ici à Avignon on dit la rue des Roues à cause des roues à aubes sur l’eau de la Sorgue canalisée. Mais elle ne bronche pas, attend qu’avec précaution il se penche et lui montre l’enseigne en lettres rouges « Théâtre Garance ».
— Ici vous pourrez vous reposer un moment, le temps de… Vous voulez bien ? Le bâtiment m’appartient.. Vous serez en sécurité. J’habite plus haut mais je vais prendre soin de vous… En attendant…
Et il se rend compte qu’il ne sait pas quoi attendre, d’elle et de lui, sinon la naissance du pitchoun ou de la pitchounette, qu’il s’en fout tant qu’elle reste avec lui et puisse lui sourire encore comme maintenant.
Sans un mot elle accepte l’hospitalité des lieux et laisse Louis faire le tour de l’auto, lui tenir le bras sous la pluie, ouvrir le théâtre, la faire entrer dans l’accueil peint en rouge, des affiches partout, de la tragédie, du vaudeville, avec son comptoir et au fond la porte à deux battants qui donne sur la salle et une petite marquée « Privé ».
— Bienvenue chez toi, Geneviève.
Et il réalise qu’il vient de la tutoyer, et qu’elle tremble de froid.
La petite porte donne sur un escalier de bois que Louis aide Geneviève à gravir. Jusqu’à déboucher sur un couloir obscur avec d’autres portes. Louis fait le guide. À droite on passe dans la cabine de régie ouverte sur la salle et la scène. Son et éclairage. Au fond, deux loges, une pour les comédiennes, une pour les comédiens… Et il pousse une porte en façade: le logement de l’ancien veilleur, du temps où ici c’était une teinturerie. Avec utilisation de la garance, d’où le nom du théâtre…
De son pas mesuré, Geneviève entre dans la pièce au plancher gris, aux murs chaulés, à deux fenêtres sur rue, s’arrête au centre, son petit sac bleu toujours serré sur sa poitrine. Louis finit sa visite.
— Parfois, en juillet, quand les hôtels sont pleins à cause du festival, on doit héberger quelqu’un d’urgence, alors. Tu restes tant que tu veux, jusqu’à ce qu’on trouve quelque chose de mieux… Enfin un endroit à toi ou je ne sais pas. Quand tu pourras nous dire…
Et il montre un coin kitchenette avec frigo, microondes, une table escamotable avec deux tabourets, un lit couvert d’une courte-pointe, deux fauteuils club au cuir brun fatigué devant une minuscule cheminée ouverte où on a installé un radiateur électrique. Louis l’allume et ouvre les vieux placards de part et d’autre du foyer, commence à fouiller dans les étagères, en sort des draps, des serviettes de bain…
Geneviève ne bouge pas, même quand Louis commence à faire le lit, s’aperçoit qu’il laisse des traces de pluie, et s’arrête soudain.
— Que je suis bête… Si tu veux te doucher… Les toilettes sont aussi là…
Et il montre du doigt un panneau coulissant, juste dans un coin.
— Tu as de quoi te changer… ?
Sans répondre elle va ouvrir la salle de bains, s’arrête au seuil, allume le plafonnier puis se retourne et, sans sourire, plonge son regard de magicienne dans celui de Louis. Et c’est comme dans le parking, il en est bouleversé, fait deux pas vers elle mais elle lève une main et il va se remettre à garnir le lit, oreillers, couette. Continue à parler seul, parce qu’il réalise qu’il est en train de s’engager dans une aventure dont il ne sait rien. Il dit, trop fort à cause de son trouble:
— Prends une douche, réchauffe-toi… Je vais aller chercher à manger et à boire…
Il se redresse, veut sortir, filer, la laisser s’habituer au petit logement, et elle est contre lui, lui attrape une main et en embrasse la paume. L’instant d’après elle est sous la douche. Et Louis reste deux secondes interloqué, passe dans le couloir, descend l’escalier, traverse l’accueil, va à son Espace. Il met un temps fou à trouver la première vitesse, démarrer enfin. Parce qu’il a oublié de tourner la clé de contact, qu’il est ailleurs. »
Extrait
« Il se passe du temps. Un peu. Louis n’ose plus penser qu’il a maintenant presque charge de famille. Il se sent presque vivre un couple bancal. Avec une inconnue qui lui manque dès qu’il rentre chez lui. Et qu’il mordrait de ce silence qu’elle lui impose. Ils mangent ensemble dans le petit logement du théâtre. Louis continue de se confier. Ses espérances d’adolescent, son parcours au conservatoire, sa façon de diriger les comédiens, en douceur, d’aller chercher leurs émotions et aussi leur regard froid sur le rôle… Geneviève continue de lui rendre des feuilles vierges sans un mot écrit à chaque question sur ses origines, comme si elle voulait rater un examen, un concours, rendre copie blanche. » p. 47
À propos de l’autrice
Francesca Rizzoni © Photo Nathalie Thorez
Francesca Rizzoni, née à Calais, a fait des études littéraires (hypokhâgne, khâgne). Elle est aujourd’hui professeur d’anglais en CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles). Passionnée de théâtre (elle a travaillé avec Jean-Michel Rabeux), c’est une inconditionnelle du Festival d’Avignon où elle va tous les ans. Elle vit aujourd’hui à Paris. (Source : Éditions Héliopoles)
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