En deux mots
Dans la France de 2049, la société de la transparence s’est établie. Hélène y est gardienne de protection, chargée d’enquêter sur la disparition improbable d’une famille. À mesure qu’elle avance dans son enquête, ses certitudes sur cette société-modèle vont vaciller.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Si vous voulez en savoir plus…
Ma chronique complète publiée lors de la parution du roman en grand format : Panorama
Les premières lignes
« Prologue
Derrière la baie vitrée, une femme est assoupie. Sa poitrine se gonfle et s’affaisse comme la houle matinale. Nico se colle contre son dos et embrasse ses cheveux défaits. Je n’avais encore jamais vu de blonde dans son lit.
Nico a décidé d’oublier et de vivre. Moi je n’y arrive pas, et je me demande encore comment les choses ont pu déraper à ce point.
C’était il y a tout juste un an.
Une famille a disparu, là où personne ne disparaissait jamais.
On m’a chargée de l’enquête, et ce que j’ai découvert au fil des semaines a ébranlé toutes mes certitudes. Il ne s’agissait pas d’un simple fait-divers mais d’un drame attendu, d’un mal qui irradiait tout un quartier, toute une ville, tout un pays, l’expression soudaine d’une violence qu’on croyait endormie.
Mais avant de vous raconter cette histoire, il me faut remonter le temps. Car aucun des évènements du 17 novembre 2049 ne peut être compris si l’on ignore ce qui s’est produit ici vingt ans auparavant,
quand nos villes, qui furent des jungles, sont devenues des zoos.
Première partie
I 2029
La scène se passe dans l’Auditorium de Radio France. Gabrielle Boca, jeune femme à la détermination tenace, s’avance à la tribune et d’un geste solennel retire sa toge. L’assemblée applaudit. Des centaines de citoyens, dont je fais partie, ont été tirés au sort pour assister à son discours, retransmis en direct à la télévision et sur Internet. C’est un jour historique. Ce 26 octobre 2029, on fait le procès de la Justice.
« Chers amis, j’ai été la première à me repentir. J’ai rendu ma carte d’avocate, jeté ma robe, demandé pardon. À vous qui avez cru en l’institution judiciaire, vous qui avez été entendus sans être écoutés, je veux redire ces mots : la Justice a trahi. La justice du passé, celle des magistrats nommés par le pouvoir, celle de la présomption d’innocence et de la prescription, cette justice a failli. Incapable de défendre les plus fragiles, elle s’est vautrée dans des compromissions et des effets de manches. Combien de crimes ainsi ignorés ? Combien de victimes sacrifiées ? Ces victimes, nous les avons condamnées à purger une peine à perpétuité, par notre laxisme envers leurs agresseurs. Mais cette époque est maintenant révolue. »
Une musique s’élève du fond de la salle. Le souffle d’un hautbois, et l’âme tourmentée d’un violon. Je ferme les yeux. Un homme tape de plus en plus vite, de plus en plus fort, sur une peau tendue. Je crois deviner des timbales, mon souffle s’accélère, j’ai mal au crâne. Au tintement des cymbales, je pars. Je me souviens de la haine des jours, de la sauvagerie des nuits, des femmes aux ailes d’Érinyes et du goût amer de leur vengeance. Je me souviens d’être restée paralysée. Sept jours. Ça a duré sept jours.
Tout a commencé quand un célèbre influenceur du nom de Julian Gomes a porté plainte contre son oncle. À son million d’abonnés, il avait raconté comment cet homme l’avait violé quand il était petit et expliqué les répercussions qu’un tel secret avait eues dans sa vie. Malgré le retentissement de l’affaire, les interviews, les articles dans les journaux, la plainte fut classée sans suite : les faits étaient prescrits.
Julian Gomes propose un sondage à sa communauté. Doit-il se faire justice lui-même ? La réponse est oui, à 87 %. Le lendemain matin, muni d’une caméra frontale, il se rend au 6 boulevard Arago, à Paris, grimpe les six étages qui le séparent de son destin, toque à la porte de son oncle et lui plante un couteau dans la gorge. Julian retourne la caméra vers lui et s’effondre en larmes.
Après son arrestation, des messages de soutien affluent du monde entier pour demander sa libération. Face à l’absence de réaction du gouvernement, des manifestations éclatent un peu partout en France. On brandit les photographies d’accusés relâchés, les visages des « salopards » jamais poursuivis. Les témoignages se multiplient : chacun exprime ses griefs personnels à l’encontre de l’autorité judiciaire, sa lenteur, son inefficacité. Le site du ministère de la Justice est piraté et renommé « ministère de l’Injustice ».
Une nuit, alors que le Tribunal de Paris est envahi par une centaine de femmes, membres d’une association de victimes de violences conjugales, le ministre de l’Intérieur ordonne leur expulsion. Elles refusent d’obtempérer, se débattent, et l’une d’elles est matraquée par un policier. La séquence, diffusée à la télévision, attise la colère des manifestants. Sur les réseaux sociaux, des centaines de jeunes se coordonnent pour mener des actions ciblées. Ils veulent imiter le geste de Julian Gomes, tous ensemble, et au même moment.
Le hashtag « Revenge Week » – semaine de la vengeance – devient viral. Un climat insurrectionnel s’installe en France. Les victimes punissent leur bourreau. Une jeune salariée de Mulhouse défenestre le patron qui l’avait harcelée pendant des années. Un étudiant d’Amiens pousse sur les rails d’un train son voisin, un ancien militaire qui battait son chien. Le patron d’un empire pétrolier, responsable d’une marée noire, est empoisonné par des militants écolos. Les parents maltraitants, les prêtres pédophiles, les flics abusifs, les « pourris » en liberté sont éliminés les uns après les autres. Ces crimes sont filmés, relayés et likés par des centaines de milliers de personnes. À Béziers, un homme âgé se présente au commissariat pour se dénoncer : il a tripoté des gamins à l’époque où il était directeur sportif d’un club de foot. Il sait que ses anciens élèves sont à ses trousses, ils ont posté sa photo et cherchent son adresse. Il craint pour sa vie et insiste pour être incarcéré. Les policiers lui demandent de revenir plus tard, sans garantir de pouvoir lui trouver une place en cellule. L’effet de sidération est tel que personne – y compris dans mon unité – n’ose bouger.
Le président de la République – menacé à son tour – se réfugie au fort de Brégançon, laissant le pouvoir vacant.
L’avis de… Alexandra Schwartzbrod (Libération)
« Ce roman à la construction parfaite est une charge accablante contre nos sociétés où chacun dévoile énormément de lui-même, notamment via les réseaux sociaux, tout en restant très méfiant de l’autre. »
Vidéo
Lilia Hassaine présente son roman «Panorama» © Production Librairie Mollat
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