Fup, L’Oiseau canadèche – Jim Dodge [30-30]

Par Albertebly
Aujourd’hui nouvelle lecture pour notre challenge 30 livres pour nos 30 ans. Une belle découverte que Fup, l’oiseau canadèche de Jim Dodge !

Comme d’habitude, si vous voulez retrouver la liste complète des livres que nous nous sommes défiés de lire pour nos 30 ans, il vous suffit de cliquer sur ce lien.

Fup, l’oiseau canadèche, ça parle de quoi ?

Orphelin, Titou est recueilli par son grand-père.

Malgré quelques divergences de caractère – Titou a la passion des clôtures, Pépé Jake les déteste – le duo fonctionne bien, et mieux encore du jour où déboule Canadèche, canard boulimique hautement sympathique, qui devient leur inséparable compagnon.

Ça a le mérite d’être bref mais de résumer parfaitement le contenu et le ton du bouquin, ma foi !

Une histoire intergénérationnelle

Après avoir perdu sa maman lors d’un accident, le petit Titou est recueilli par son grand-père, Pépé Jake, non sans qu’il se soit adonné, pour cela, à quelques petites magouilles et graissages de pattes…

« Enfin, à la suite de manœuvres sinueuses, lubrifiées par de confortables enveloppes distribuées à bon escient, l’affaire fut confiée à un certain juge Wilbur Tatum, octogénaire et heureux grand-père de dix-sept petits-enfants, à la tronche d’ivrogne marquée d’une couperose plus enchevêtrée que la plus détaillée des cartes routières et jouissant d’un crédit de cent mille dollars à Las Vegas, malgré les confortables pensions alimentaires qu’il servait à ses huit ex-épouses. »

Fup, l’Oiseau Canadèche, Jim Dodge, éditions Tishina, 2021, p.81

Vieux mais fougueux, se prétendant éternel, porté sur le jeu et l’alcool, Pépé Jake avait jusqu’ici vécu sa vie en solitaire entre parties de poker, confection de tord boyaux maison et parties de pêche infructueuses.

« Au départ, il il avait espéré pouvoir troquer son whisky contre d’autres biens de consommation, mais les voisins – des éleveurs de moutons, essentiellement durs à la tâche – ne possédaient ni son goût pour les eaux-de-vie hautement raffinées, ni sa capacité d’absorption. »

Fup, l’Oiseau Canadèche, Jim Dodge, éditions Tishina, 2021, p.51

Le Pépé aux « goûts de flambeur invétéré » (p.70) va pourtant immédiatement nouer un lien fort avec ce petit-fils taiseux qui, en grandissant, se prendra de passion pour quelque chose de peu commun ; les barrières et autres clôtures.

« D’ailleurs, il était encore à portée de voix de sa folle jeunesse, il vous expédierait de la Terre à la Lune à coups de pompe dans le cul, en moins de temps qu’il n’en fallait à un Indien pour dire hugh. Fort heureusement, Titou était aussi aimable que son grand-père mal embouché, aussi placide et serein que le vieillard était farouche et belliqueux. »

Fup, l’Oiseau Canadèche, Jim Dodge, éditions Tishina, 2021, p.111

Ces deux hommes aux caractères que tout oppose se complètent pourtant, l’un calmant les ardeurs et rattrapant les bourdes de l’autre…

« – Nous refusons absolument tout ce qui sort de l’ordinaire.
Jake explosa :
– Eh ben, ça doit vous faire une petite vie bien merdeuse et salement étroite, non? Alors voilà : il se trouve que vous avez ici un canard d’attaque, dressé pour le kung-fu et spécialement élevé pour nous par la société Tong. Nous la laisserions bien à la maison mais elle massacre tous les coyotes.
– C’est évidemment une plaisanterie de mon Pépé, monsieur, s’empressa d’ajouter Titou. »

Fup, l’Oiseau Canadèche, Jim Dodge, éditions Tishina, 2021, p.166

Vivre et laisser vivre

Fup l’Oiseau Canadèche se présente comme une sorte de conte philosophique peuplé de personnages tous plus hauts en couleurs les uns que les autres. Jim Dodge nous sert autant du rire que de l’émotion, le tout sans jamais chercher à être tire-larmes malgré les tragédies qui jalonnent les vies de nos personnages. Malgré les difficultés, ce sont les bons moments partagés par Titou et Pépé Jake qui viennent nous rappeler ce qui fait le sel de la vie et l’on se délecte de voir le temps qu’ils passent ensemble, de l’enfance de Titou à l’âge adulte.

Les dialogues sont toujours bien sentis, le ton du narrateur plein d’humour et de malice, tout en comportant une petite pointe de mélancolie.

« L’éternité édentée était une perspective sinistre – mais qui sait ? peut-être qu’au bout de deux ou trois cents ans, ses gencives seraient devenues assez dures pour lui permettre de grignoter des côtelettes. »

Fup, l’Oiseau Canadèche, Jim Dodge, éditions Tishina, 2021, p.212

On se régale des aventures de Titou et Pépé Jake et d’autant plus une fois l’Oiseau Canadèche entré dans leur vie. Ce canard, qui semble doué de vie et d’émotions autant qu’un être humain, n’hésite pas à se défendre quand cela est nécessaire en « s’accrocha[nt] farouchement au scrotum [de] chien[s] de chasse »… Un personnage qui, vous l’aurez compris, vient compléter à la perfection ce duo déjà assez extravagant.

Ce court conte, qui propose une réflexion autour de la mort mais aussi de la liberté est absolument sublimé dans son édition chez Tishina par les illustrations épurées, emplies du silence des plaines et pourtant si riches de sens et d’émotions de Tom Haugomat. Les planches, souvent pleines pages de paysages minimalistes à l’acrylique, sont soit très figuratives, soit assez « surréelles », illustrant des éléments de l’histoire que nous ne serons amenés à comprendre que plus tard. Ces illustrations, qui tantôt précèdent tantôt succèdent aux évènements, viennent enrichir ce conte plein de tendresse et le dialogue opère entre les deux formes artistiques, le texte servant l’illustration et inversement.

Bref, ce texte est un petit bijou de candeur, de beauté et de loufoquerie, et il est encore magnifié par le travail de Tom Haugomat qui retranscrit parfaitement tout l’anti-conformisme et la douceur de cette histoire.

Un beau coup de cœur pour ce conte plein d’émotion mais exempt de niaiserie qui nous aura ému autant que mis du baume au cœur. On a la sensation de ne pas avoir suffisamment rendu justice à ce texte, mais on vous encourage vivement à le lire quand vous aurez besoin de ce brin de candeur que seul peut apporter un récit qui a la douce saveur de l’enfance.


On espère que cette nouvelle chronique vous aura donné envie. Si vous avez déjà lu des livres des éditions Tishina, nous sommes curieuses de savoir lesquelles parce qu’on a bien envie de découvrir d’autres livres illustrés de leur catalogue du coup !
Sur ce, on vous dit à la prochaine pour une nouvelle chronique littéraire,
Votre bonne vieille Tata Alberte ♥