L’immortalité pour ceux qui sont aimés

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

L’amourante (Pierre Alexandrine – Editions Glénat)

Zayn ne comprend pas pourquoi Louise l’a plaqué sans la moindre explication. C’est pourtant elle qui l’a abordé dans un bar, elle qui l’a séduit, elle qui l’a embrassé, elle qui lui a envoyé des textos enflammés. Bref, Louise a tout fait pour qu’il tombe amoureux. Alors, pourquoi le quitter aussi brutalement? Pour en avoir le coeur net, Zayn décide de se rendre chez la jeune femme. Elle accepte de le faire monter cinq minutes dans son gigantesque appartement situé en plein centre de Paris, mais pas plus, car elle était en train de s’endormir devant une série. Zayn est interloqué par la froideur et le détachement de Louise, mais il n’en démord pas: il veut comprendre pourquoi elle a soudainement changé d’attitude à son égard. « Je veux bien t’expliquer, mais tu risques d’avoir du mal à me croire », lui répond-elle. Louise lui montre alors un tableau sur le mur. Un magnifique portrait de femme, réalisé en 1527 à Venise par Basileo Guardiano, un élève du Titien. Zayn remarque tout de suite que la jeune femme sur la peinture ressemble beaucoup à Louise. Normal, puisque c’est elle! A la grande stupéfaction de Zayn, Louise lui révèle qu’elle n’est pas une simple mortelle, mais une « amourante ». Ce qui signifie qu’elle a un pouvoir magique qui l’empêche de vieillir tant que quelqu’un l’aime. Cela l’empêche même de mourir. Pour le prouver, elle demande à Zayn de lui tirer une balle dans le coeur. Elle y survit comme si de rien n’était, sous les yeux ébahis du jeune Parisien. C’est donc pour ça qu’elle l’a séduit, afin de perpétuer son pouvoir. Mais comme toujours, elle a rompu rapidement avec lui, car elle ne peut pas se permettre de tomber amoureuse à son tour, sous peine de se remettre à vieillir. Louise demande alors à Zayn de s’installer confortablement dans son salon. Une fois n’est pas coutume, elle va lui raconter toute son histoire. Et c’est parti pour un parcours aussi extraordinaire que mouvementé, entamé il y a plus de six siècles. Louise est née en pleine guerre de Cent ans. A l’époque, elle n’était qu’une simple paysanne, mais elle sentait déjà qu’elle était différente. C’est sa rencontre avec Eleanor, une mystérieuse voyageuse, qui va lui apporter la révélation de son pouvoir… et surtout de la manière de s’en servir.

Et si le fait d’être aimé pouvait rendre certaines personnes immortelles? Et si le fait d’aimer en retour pouvait annuler ce pouvoir magique? En partant de ces deux postulats relativement basiques, Pierre Alexandrine imagine un récit captivant, extrêmement bien construit, qui accroche le lecteur de la première à la dernière page. Si jamais vous cherchez un bon roman graphique à lire durant les grandes vacances, « L’amourante » est clairement l’une des toutes bonnes surprises de cet été. Derrière ses dessins d’une apparente simplicité, qui peuvent faire penser à de la bande dessinée jeunesse mais qui se révèlent d’une grande efficacité, se cache un récit mené de main de maître. L’auteur fait preuve d’un réel sens de la narration, alternant avec talent entre le drame, le suspense et l’humour. Depuis le Moyen Âge jusqu’à notre époque, en passant par la Renaissance ou le siècle des Lumières, ce roman graphique de plus de 230 pages nous transporte d’une époque à l’autre, sans jamais baisser de rythme. « L’amourante » nous fait également voyager à travers l’Europe, que ce soit à Paris, à Bruges, à Saint-Pétersbourg ou à Venise. Un voyage qui vaut largement le détour! Après avoir étudié les sciences politiques puis travaillé comme journaliste, Pierre Alexandrine arrive à la bande dessinée sur le tard. A quarante ans, « L’amourante » est en effet sa toute première BD. Nourri par les oeuvres de Moebius, Yves Chaland ou Daniel Clowes, il a pris le temps de perfectionner ses techniques de dessin et de narration avant de se lancer. Clairement, cela valait la peine d’attendre. « L’amourante » est un roman graphique très réussi, qui questionne notre obsession de plaire et notre peur de vieillir.