Fauvel, la narratrice, a perdu un œil pendant une manifestation, victime d’un tir de LBD. Un peu (beaucoup) désœuvrée elle accepte de garder Hannah, la chienne du père de son amie Mado qui doit s’absenter de sa grande maison près des bois. La chienne est particulière, c’est le clone de la première Hannah morte qui désormais trône, empaillée, dans le salon de la demeure. La bestiole, déjà pas très commode de nature, inquiète les villageois qui la suspecte d’être responsable des morts d’animaux dans leurs fermes…
Très vite on s’aperçoit que la borgne a tendance à regarder le monde d’un mauvais œil et le lecteur trouve ça louche. Tout et tout le monde va s’avérer bizarre dans ce roman à commencer par Fauvel, jeune femme en perdition qui depuis sa blessure cauchemarde chaque nuit et tremble de peur perpétuellement « Elle a peur et tellement marre d’avoir peur ; la peur est son état par défaut et c’est insupportable », avouant « Je me suis toujours sentie hors du monde mais j’ai toujours senti que certains autres l’étaient encore plus que moi, beaucoup plus. » Ce qui n’est pas faux comme on le découvre avec l’entrée en scène des personnages adjacents : il y a Michel, un type du coin qui enquête sur un groupe de villageois chasseurs et persuadés d’être victimes d’expériences menées par des extraterrestres ! Julien est l’un d’eux et lui est carrément flippant ce qui ne rebute pas Mado, qui vient de rentrer au bercail, du genre à sauter sexuellement sur tout ce qui bouge et trouve le Juju « répugnant, sale, irrésistiblement attirant ».
Le roman baigne dans une ambiance mystérieuse et un peu angoissante, il y a des animaux tués horriblement éviscérés sans qu’on puisse être certain que ce soit un prédateur connu qui en soit responsable, mais alors qui ou quoi ? Des chasseurs qui rôdent dans les bois pris dans le brouillard, effrayant et menaçant Fauvel et la chienne, la peur rampe entre les lignes sans qu’on ne sache jamais très bien de quoi la jeune femme doive se méfier ni même si tout est crédible car Fauvel est carrément à l’ouest ! Entre ses rêves/cauchemars, ses pensées tordues et les joints qu’elle fume… Aux principaux thèmes du livre, domination et violence, peur et instinct, animalité, ajoutons à la globalité de l’ouvrage, par petites touches certes, ce qui ressemble à une obsession pour l’auteure, la sexualité annale, et vous avez un bouquin particulièrement original autant qu’étrange.
« Savez-vous comment la peur peut briser jusqu’au plus petit fragment d’un être ? Le moindre son menace, la moindre présence peut prendre la forme d’un attaque ; tout vise à nous réduire à néant. On ne peut plus sortir, chaque mètre parcouru est propice à sursaut, à cœur qui défaille, à cœur meurtri. On ne peut plus aimer, on ne peut plus penser. (…) Il n’existe aucun prêtre pour l’exorciser. Il faut changer de trottoir, changer de rue, changer de ville, changer, se renouveler sans cesse pour qu’elle ne nous reconnaisse pas, mais elle nous retrouve toujours. »