Ma note Ma chronique C’est une histoire d’amitié et une histoire de deuil. Après le décès de Henri R., ses amis et collègues professeurs se rendent à Hirocherbourg pour un dernier hommage. (Ceux qui ont lu le premier roman d’Olivier Maillart se souviendront que cette mystérieuse sous-préfecture de la Manche servait aussi de décor à Les Dieux cachés paru en 2019). Fermez vos gueules, les mouettes ! Où ? Quand ? Ce qu’en dit l’éditeur Les critiques Les premières pages du livre Ils sortirent tous avec une certaine gêne du véhicule, dont on n’aurait su dire si celle-ci était causée par l’émotion, le sentiment soudain de devoir se tenir, car on n’était plus tout à fait entre soi, ou simplement d’être resté serrés dans une voiture trop petite pour leurs jambes trop grandes. L’air déjà printanier de ce début de mois de mars les piquait d’allégresse. Une envie de rire bêtement démangeait Marco et Henri tandis que Philippe s’étirait. Qui les eût observés n’eût pas manqué de relever un rien de gaucherie dans leurs mouvements saccadés : quelque chose d’emprunté, de circonstanciel, comme s’ils s’efforçaient de comprimer leur être pour le faire entrer dans un format plus petit qu’à l’habitude, de glisser à l’intérieur de corps qui n’étaient pas les leurs, plus rigides, plus maladroits, et qu’ils devaient animer tant bien que mal, avec la raideur de pantins de bois. Ils avaient beau s’y attendre, la nouvelle les avait bouleversés. Henri G., surtout, qui avait été si proche de R., qui l’admirait tant et l’avait même, il ne l’aurait pas forcément avoué dans ces termes, toujours considéré comme son maître, à la fois mentor et ami. L’hospitalisation de R. avait mécaniquement accru la dépendance de G. à tous les excitants modernes dont il était grand consommateur: drogues, demoiselles, philosophes danois et, bien entendu, alcools divers et variés. Quichotte vieillissant, son toupet grisonnant s’était fait plus clairsemé avec les années; les rides s’étaient creusées, sans qu’il perdit rien de son élégant maintien ni de sa démarche canaille. Il demeurait, à présent dépourvu de son sparring-partner, le héros de la petite troupe qui l’entourait en avançant vers le bâtiment plat en tôle ondulée blanc cassé (on le confondait parfois avec la salle d’exposition du magasin de cuisines voisin), comme si tous avaient peur qu’il ne fléchisse ou ne tombe, emporté par le vent. C’est Philippe qui engageait le plus volontiers la conversation, saluant les uns d’un signe de tête, les autres d’une poignée de main. C’était tout de même un petit week-end à la campagne aussi, pour lui, cette histoire, et il y retrouvait des visages qu’il n’avait pas croisés depuis longtemps. Sans bien parvenir à masquer son contentement, il naviguait d’un groupe à l’autre. On pouvait croire à une amicale de profs de maths, car beaucoup avaient une équerre et un compas qui dépassaient de la poche gauche de leur manteau. Un grand chauve barbu serra la main tendue de Philippe d’une poigne faiblarde, façon demi-molle, lui grimaçant qu’il était content de le revoir, s’enquérant de nouvelles dont il n’avait visiblement rien à foutre, sans que cela refroidisse le muté – ou le Parisien, comme on l’appelait ici, de manière peu flatteuse. De fait, l’heure de la cérémonie approchait. Un jeune zadiste endimanché, le fils aîné des R., tatouages scandinavo-maoris dépassant du col de chemise, jouait le rôle d’hôtesse d’accueil, dirigeant la petite foule vers le Salon océanien, reconnaissable à sa double porte coupe-feu bleu vif, au fond du hall à droite. La lumière y était tamisée, une allée centrale séparait des rangées de chaises de part et d’autre, toutes regardant vers l’estrade du fond. Les murs étaient peints à fresque: plages idylliques, soleil couchant, quelques perroquets prenant un air inspiré, l’aile sur le bec, nichés dans les ramures des cocotiers. Ça sentait la moquette de bureau bien aspirée. Philippe se fit la réflexion que l’air de Richard Clayderman qui les accueillait était joué à l’orgue, ce qui témoignait d’une délicate attention à l’égard du défunt. Constatant le recueillement de ses amis qui prenaient place juste derrière les rangs réservés à la famille, il jugea préférable de garder sa pensée pour lui. La musique disparut progressivement. Toujours derrière son pupitre, la maîtresse de cérémonie s’était entretemps coiffée d’un petit chapeau plat qui rappelait ceux que l’on voit souvent sur la tête des étudiants dans les séries américaines, lors de leur remise de diplôme. Le pompon noir qui pendouillait sur le côté lui retombait régulièrement devant l’œil. Après deux tentatives infructueuses pour l’orienter différemment, elle reprit la parole, toujours sur le même ton. Extrait À propos de l’auteur Olivier Maillart est né en 1979 à Lille. Il a publié plusieurs essais sur la littérature et le cinéma (dernier paru : Poétique de Tom Cruise, Marest éditeur, en 2024) ainsi qu’un premier roman aux éditions du Rocher, en 2019 Les Dieux cachés. (Source : Éditions Héliopoles) Page Facebook de l’auteur Tags
★★★ (bien aimé)Les étranges obsèques de Henri R.
Olivier Maillart signe ici un second roman à la fois drôle et émouvant. Il raconte l’odyssée de quatre amis venus rendre un dernier hommage à un collègue. Un événement qui souligne la force d’une amitié, mais qui est d’abord une ode à la vie.
Dans la voiture, Philippe, qui a pris un train à l’aube, somnole encore tandis que Ficelle conduit, tentant de masquer son chagrin derrière un sourire. À l’arrière, Marco et Henri G. discutent à voix basse, évoquant leurs derniers enterrements et découvrant avec étonnement des connaissances communes. Chacun semble chercher dans ces échanges un réconfort face à l’inéluctable. Malgré leurs différences, ils sont unis par leur affection pour le défunt et par le besoin de se soutenir mutuellement dans cette épreuve.
À leur arrivée, la gêne et l’émotion se mêlent alors qu’ils sortent de la voiture. Les quatre acolytes ressentent le poids de la perte et l’inconfort de la situation. Ils se dirigent vers le crématorium, un bâtiment moderne et impersonnel, où la cérémonie va se dérouler. La famille du défunt et les proches sont déjà présents et leur jettent des regards tantôt bienveillants, tantôt méfiants.
La cérémonie va être marquée par des moments de tension et de recueillement. Assis juste derrière les rangs réservés à la famille, Philippe, Marco, Henri G. et Ficelle se remémorent les moments passés avec leur ami, écoutent les témoignages et les lectures et ne peuvent s’empêcher de les confronter à leur vécu. Et comme souvent, la cocasserie vient se mêler à cette atmosphère mélancolique. Par exemple quand Henri G. vient se cogner la tête contre le cercueil.
Ce qui s’annonçait comme une triste soirée se transforme rapidement en une nuit d’ivresse où se mêlent rires et larmes. Mais le clou du spectacle, si l’on peut dire, survient au moment où les quatre amis décident de voler l’urne funéraire pour répandre les cendres au bord de la mer, afin d’éviter que leur ami ne soit placé en face du collège qu’il détestait dans un columbarium où reposent aussi des chats. Un geste qui devient le fil conducteur d’une nuit où tout peut arriver. On pense bien entendu au film des frères Coen, The big Lebowski, et à la scène devenue culte du dans laquelle les cendres dispersées reviennent d’un coup de vent vers les deux amis venus accomplir ce dernier geste.
Ici aussi, le plan des quatre amis va être perturbé de rencontres improbables. Des dealers, des migrants, des danseurs LGBT, des gilets jaunes ou encore un poète qui va tenter de s’incruster, chaque étape apporte son lot de surprises et de réflexions.
À travers les péripéties de cette nuit, c’est tout un morceau de France qui surgit, avec sa violence tantôt, ses chagrins et ses éclats de rire.
Olivier Maillart, professeur de cinéma et de littérature en classes préparatoires, nous offre ici un texte riche en émotions et en cocasserie, un mélange qui a fait ses preuves.
L’auteur parvient à capturer l’essence de ces moments où la vie, dans toute sa complexité, se révèle à nous. Il joue avec les mots pour nous faire passer du rire aux larmes, sans jamais tomber dans la mièvrerie. Chaque personnage, chaque situation est décrite avec une précision qui rend le récit à la fois vivant et poignant.
Fermez vos gueules, les mouettes est bien plus qu’un simple récit d’amitié. C’est une ode à la vie, à ses imprévus, et à ces moments qui, malgré leur apparente banalité, nous marquent à jamais.
Olivier Maillart
Éditions Héliopoles, coll. Serge Safran
Roman
152 p., 17 €
EAN 9782379851193
Paru le 8/05/2025
Le roman est situé en France, dans la localité imaginaire de Hirocherbourg, sous-préfecture de la Manche, non loin de Villeville-sur-Mer.
L’action se déroule de nos jours.
À Hirocherbourg, mystérieuse sous-préfecture de la Manche, des amis, professeurs de profession, se réunissent une dernière fois pour rendre hommage à l’un des leurs, mort trop tôt. Mais les lois sanitaires s’en mêlent, de même que la famille du défunt. Et puis des dealers teigneux, des migrants belliqueux, des danseurs LGBT, un poète un rien collant, des gilets jaunes, ainsi que beaucoup, beaucoup d’oiseaux de mer. Dont des mouettes.
C’est que la bande d’amis a décidé, d’un commun accord, de voler l’urne funéraire pour aller répandre les cendres de leur confrère au bord de la mer. Et c’est tout un morceau de France qui surgit au hasard de cette nuit d’ivresse, à la fois mélancolique et régénératrice : avec sa violence tantôt farcesque, tantôt terrifiante, avec ses chagrins et ses éclats de rire.
Babelio
Jean-Claude Bologne
Chapitre I
Le dernier adieu
Il somnolait encore malgré l’heure avancée, achevant péniblement sa nuit. Le réveil avait été très matinal: il lui avait fallu prendre un train à l’aube, train qui l’avait conduit sous la nuit pâle jusqu’à ce bout de terre normande cerné par les eaux, aussi hostile aux hommes qu’il était l’ami des crabes et des cirés imperméabilisés. Ficelle l’attendait sur le quai, souriante malgré son chagrin, et ils s’étaient enlacés comme ils ne le faisaient jamais, histoire de se donner du courage pour ce qui les attendait. Puis, ayant chargé les deux autres gogos à proximité de la place de la Reconstruction permanente, elle avait conduit tout ce petit monde en direction du sud, suivant les instructions de son téléphone.
Passé les amitiés d’usage, Philippe avait demandé un peu de répit et s’était plus ou moins endormi, la joue écrasée contre la vitre qui vibrait avec une ronronnante régularité. Il espérait rattraper ainsi un peu de sommeil et, selon ses mots, « mieux profiter de la journée ». À l’arrière, Marco et Henri G. discutaient à voix basse, faisant le décompte de leurs derniers enterrements et crémations, comparant les lieux et cérémonies, se découvrant avec étonnement telle ou telle connaissance commune – ils avaient chacun leurs réseaux à Hirocherbourg, pas forcément du même bord, et qui s’ignoraient les uns les autres avec opiniâtreté ; ces exceptions les enchantaient.
Ficelle, elle, préférait ne rien dire, suivant avec attention la route monotone et dégagée. Elle avait horreur d’être en retard – cette fois encore, ça devrait aller. L’endroit n’était pas loin de la sortie de la nationale, après le grand rond-point orné d’une composition florale en forme d’huître géante. Le parking, juste en face, était collé aux derniers champs du coin, qui donnaient le sentiment de faire de la résistance. Il n’y avait pas encore grand monde, elle n’aurait même pas besoin de faire un créneau pour se garer.
Henri G. tentait vaille que vaille d’allumer sa cigarette à l’aide d’un briquet que le vent du large, la mer n’étant guère qu’à dix kilomètres, ne cessait de souffler. Marco, toujours légèrement voûté, scrutait les environs d’un œil craintif, espionnant la foule encore clairsemée des proches qui entouraient quelques-uns des membres de la famille, de l’autre côté de la route, à l’entrée de la toute récente zone d’activité de Brique-sous-Caillou dont le crématorium était assurément l’un des joyaux. Quant à Philippe, il attendait que Ficelle ait fini de fermer la voiture pour aligner tout ce petit monde devant le champ de derrière, afin de prendre une photo du groupe.
— Tu es sûr que c’est le moment ? demanda Ficelle d’un ton réprobateur.
Il n’y avait jamais de bon moment pour ces choses, et pour une fois qu’ils étaient tous ensemble… Depuis que Philippe avait eu son poste en région parisienne, cela n’arrivait pour ainsi dire plus jamais.
— Sauf qu’il en manque un, fit remarquer Henri G. en souriant avec mélancolie. Et comme, disant cela, il avait fait un joli geste de la main, Philippe choisit de prendre sa photo en laissant un peu d’espace à l’endroit imaginairement désigné, sur la gauche. Là où, avec eux, aurait dû se trouver Henri R.
Philippe blaguait avec Marco, ayant deviné que ce dernier renâclait à rejoindre les endeuillés qui patientaient devant l’entrée. Marco avait été l’élève de R. Il voulait rendre un dernier hommage à son professeur mais, sachant que la foule allait être aux trois quarts composée d’enseignants, il redoutait les regards qu’il devrait y affronter. Philippe, lui, se préparait depuis quelques mois déjà à la mort de R. Il avait plus ou moins anticipée, imaginée, vécue dans sa tête, comme il faisait toujours pour ce qui le tracassait ou lui tenait à cœur – quand il était jaloux, quand il était triste ou qu’il était heureux. Comme, en plus, sa mère était morte un mois plus tôt, il se disait rodé, encore que la crémation ajoutât à ses yeux une touche de nouveauté techno-païenne par rapport à la cérémonie précédente. Qui plus est, y ayant été moins intimement mêlé, il avait davantage le sentiment de venir en spectateur qu’en organisateur soucieux du bon déroulement des choses.
Ficelle enfin paraissait lourdement peinée, elle qui avait à l’inverse voulu croire jusqu’au bout à un miracle de la part de l’infatigable professeur de philosophie, leur Socrate manchot à eux. Elle avançait en silence, sans bien reconnaître ses collègues au début – ou plutôt feignant de ne pas les reconnaître, histoire de ne pas avoir à leur parler.
Il s’apprêtait à se tourner vers un groupe de « mamans » à l’air affligé, sûrement des profs d’anglais, quand il se sentit tiré en arrière. Ficelle le ramena par le bras dans leur groupe.
— Franchement, c’est pas le moment de pactiser avec l’ennemi. Comme s’ils n’en avaient jamais rien eu à foutre, de notre Riri!
— Tu exagères: ils sont là, après tout…
— Mouais, moi je n’y crois pas. Surtout je n’oublie pas les vacheries des derniers mois, quand il était au plus mal.
— Sans compter qu’ils m’ignorent à qui mieux mieux, gémit Marco en réprimant une quinte de toux, multipliant les regards à gauche et à droite.
Il avait beau être le plus jeune des quatre, Marco arborait une chevelure déjà grisonnante, coupée court, et l’allure fébrile qu’ont souvent les anciens militaires, lorsqu’ils abordent la soixantaine. Depuis qu’il avait été surpris à coller des affiches de protestation contre les dernières lois d’exception sanitaires, sa réputation au lycée, guère brillante à l’origine, s’était dangereusement dégradée, et nombre de collègues lui tournaient ostensiblement le dos lorsqu’il entrait, un masque médical pendouillant négligemment à l’oreille, dans la salle des professeurs.
Adossé à la tôle crémeuse du crématorium, juste au-dessous du grand logo peint en jaune et bleu – une mouette s’envolant vers un soleil radieux, que l’artiste avait bizarrement affublée de lunettes noires -, le jeune professeur de lettres ne cessait de deviner méfiance et mépris dans les rares regards qu’il parvenait à accrocher. Il était persuadé que les gens entraient à présent à reculons dans le bâtiment pour lui présenter leur dos et ne pas avoir à le saluer. C’était peut-être vrai.
Il allait s’asseoir lorsque l’assemblée, désormais au complet, fut invitée à se lever par une jeune Maghrébine en tailleur anthracite d’employée bancaire, qui se plaça derrière un pupitre fleuri, situé juste devant la famille, en contre-bas de l’estrade.
— Mesdames et Messieurs, la cérémonie d’adieu va bientôt commencer. Nous vous demandons de bien vouloir éteindre vos téléphones portables et de ne pas enregistrer d’images pendant l’intégralité de son déroulement – notre photographe attitré ainsi que nos caméras de surveillance, situées à l’intérieur comme à l’extérieur du bâtiment, vous fourniront toutes les photos et vidéos souhaitables, nous vous enverrons par mail ou par sms le code d’accès qui vous permettra de les télécharger gratuitement sur notre site. Vous pourrez exprimer au cours de cette cérémonie votre affection pour le défunt par des lectures, chansons et témoignages qui seront lus ou interprétés par ses proches. Puis, à mon signal, au moment du grand départ, vous pourrez vous présenter devant le cercueil et lui adresser un dernier au revoir, par un mot, un signe de croix, ou tout autre geste que vous dictera votre cœur.
La voix était mécanique, avec une pointe de geignardise qui disait l’effort pour s’investir dans le rôle. La jeune femme leva alors les yeux vers le ciel d’un air inspiré. Visant le rétroprojecteur accroché au plafond avec une petite télécommande, elle lança un montage vidéo. Immensément agrandi, Henri R. apparut sur le mur du fond de la salle. Rajeuni, l’œil rieur, il portait ses enfants sur le dos, à demi nus, hilares. Il était heureux, et ressemblait à l’une de ces divinités barbares, hirsutes et pleines de vie qui pendant des siècles avaient hanté les rives de la Méditerranée. Et tandis que la projection se poursuivait, que la musique gagnait en intensité, les employés des pompes funèbres, comme recouverts par ces images irréelles d’un bonheur à présent lointain, manipulaient le cercueil afin de le placer sur l’estrade, disposant ensuite les divers bouquets, couronnes et gerbes, ce qui ne manqua pas de distraire l’attention de l’assistance, chacun plissant les yeux pour reconnaître les fleurs qu’il avait commandées et les désigner à son voisin.
— À présent, j’appelle Bernard à me rejoindre.
Au premier rang, une femme à l’air particulièrement affligé, la veuve de Henri R., agita brusquement le bras en émettant un long son guttural:
— Gnngnn.. Ahhhhh..
L’employée des lieux sursauta.
— Je veux dire: j’appelle Jean-Jacques à me r…
Nouveau hurlement guttural, plus perçant que le précédent. Dans l’assistance, on commençait à s’étonner.
— Chantal, pardon, j’appelle Chantal! s’affola la jeune femme.
Ce devait être le bon nom, car le bras endeuillé cessa de s’agiter comme la branche au vent, le cri rejoignant progressivement des graves moins perceptibles. Une femme toute de bleu vêtue s’avança jusqu’au pupitre et, d’une voix émue, évoqua la figure du disparu. Les maladresses d’usage, les pauses embuées, rien n’empêcha la courte évocation de toucher l’assemblée, chacun se plongeant en lui-même, les yeux dans le vague, resongeant au défunt. On joua du piano. On chanta. Henri G. lut un joli poème de son cru, dans lequel il entrelaçait ses souvenirs personnels avec R. à ceux que ce dernier lui avait racontés à propos de son enfance. Il évoqua notamment une plage de la côte ouest du Cotentin où R., enfant, pêchait des crustacés avec son père : épisode heureux, édénique, étonnamment solaire pour la région, et qu’il avait conservé en lui comme un trésor illuminant ses nombreux moments de tristesse, défiant les amertumes comme les coups que la vie s’était chargée de lui porter par la suite.
Arriva enfin, à l’appel de la maîtresse des lieux, qui avait troqué son tailleur gris pour une toge chamarrée ainsi que sa toque nord-américaine pour une tiare aux reflets cuivrés, le moment labellisé comme celui du « dernier adieu ». Philippe reconnut avec plaisir les longues notes tenues de l’ouverture de Lohengrin, ce qui lui parut aussi improbable que plaisant, comme un délicieux alliage de mauvais goût et d’émotion vraie, parfaitement approprié à la situation – Henri R. en aurait souri.
On se levait doucement, en se regardant les uns les autres, peu assurés quant à la démarche à suivre. La famille ne paraissait d’ailleurs pas en savoir davantage, donnant au mouvement d’ensemble l’allure d’une vague immobile, qui cherche en tremblant la direction qu’elle doit prendre. D’un geste solennel, la cérémoniante fit à la veuve et aux enfants d’Henri R. le signe de s’avancer. Alors le défilé s’engagea. Il y avait des hésitants et des décidés, des regards émus et des yeux absents, quelques sanglots, des gestes maladroits, des mains dans les poches. Marco et Philippe se signèrent. »
« Dans le fond, estimaient-ils, ils ne s’en étaient pas si mal sortis. Ils avaient récupéré l’urne, semé leurs poursuivants, l’aube n’était plus qu’à quelques heures devant eux – et la fin de leur « mission » avec elle. Surtout, au cours des péripéties qu’ils venaient de vivre, et qui demeuraient dans le fil de ce qu’ils avaient l’habitude de vivre la nuit, éthyliques et joyeusement stupides, ils avaient eu le sentiment d’être aux côtés de leur ami Henri R. comme cela ne leur était pas arrivé depuis longtemps – la maladie des derniers mois l’ayant privé de ce genre de sortie.
D’ailleurs, elle n’en démordait pas, Ficelle était persuadée de l’avoir reconnu, jouant du parapluie comme un bretteur de génie face à l’affreux Fou follet, tout à l’heure, tandis qu’ils tâchaient de fuir le chantier du Pâté-de-la-soif. Et contrairement à ce qu’elle avait craint en leur révélant cette conviction à laquelle elle n’osait pas croire elle-même, les garçons étaient dans un tel état que, dans le fond, ils adhéraient tous à la chose sans réticence. Après tout, n’était-ce pas inévitable ? N’était-il pas avec eux, s’enflamma même Henri, donnant un choc un peu rude dans l’urne, au risque de l’ébrécher ? Déjà, de son vivant, la vie de leur Riri s’était révélée plus d’une fois romanesque en diable, au point qu’il était obligé, lorsqu’il racontait des anecdotes qui lui étaient véritablement arrivées, d’en rabattre sur l’incroyable qu’elles recelaient, afin d’être cru. » p. 101
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