Nouvel article nouveau roman pour notre challenge 30 livres pour nos 30 ans ! (Vous en pouvez plus ? Nous aussi on sait même plus comment vous les introduire ces articles aha). Aujourd’hui on vous parle d’un roman de Nina Allan : Le créateur de poupées.
Comme d’habitude, si vous voulez retrouver la liste complète des livres que nous nous sommes défiés de lire pour nos 30 ans, il vous suffit de cliquer sur ce lien.
Le créateur de poupées, ça parle de quoi ?
[Vous noterez l’aspect absolument effrayant de la couverture de l’édition dans laquelle j’ai découvert ce texte… Ça vous envoie directement dans la Vallée de l’étrange ce genre de couv’, non ?]
Andrew, solitaire depuis l’enfance en raison de sa très petite taille, est un créateur de poupées reconnu. Il correspond avec une femme, également amatrice de poupées, Bramber Winters, qui réside et travaille au sein d’un établissement psychiatrique dans les Cornouailles.
Récit des marges
Dès l’introduction, on comprend que c’est du thème de l’altérité qu’il sera question dans ce roman. Andrew, créateur de poupées et plangonophile (oui, on a appris un mot donc on vous le place.) se présente dès l’introduction comme une personne mis en marge de la société dès son plus jeune âge pour sa différence physique puisqu’il est atteint de nanisme.
« La plupart des autres élèves m’appelaient le Nain, et d’autres choses encore. Je savais depuis un âge précoce qu’il était inutile ne serait-ce que d’essayer de m’intégrer, qu’aspirer à être comme eux ne ferait, pour une mystérieuse raison, qu’augmenter leur mépris. Au lieu de quoi je considérais mes camarades de classe comme les membres d’une autre tribu, dont les coutumes énigmatiques étaient empreintes de sauvagerie. »
Le créateur de poupées, Nina Allan, Éditions Tristram, 2021, p.20.
On s’est tout de suite attachées à ce personnage qui nous a rappelé le Soïchi de Junji Ito (d’aucun diront rienav’ mais laissez-moi tissé mon multiverse pépouze ok ?) dans la grande solitude qu’il renferme :
« Moi, j’étais un garçon à la face lunaire, ventru, une sorte de larve avec des cheveux à l’aspect humide et des lunettes. N’atteignant pas encore un mètre vingt, j’étais trop faible pour taper dans un ballon de foot, trop petit pour escalader une clôture. Des garçons qui m’avaient sans problème intégré à leurs jeux l’été précédent commencèrent à remarquer ces différences et à me tourner le dos. »
Le créateur de poupées, Nina Allan, Éditions Tristram, 2021, p.17.
De même, le personnage de Bramber, avec lequel Andrew entamera une correspondance dès les premiers chapitres du roman est aussi une figure des marges puisqu’on nous dit dès les prémices du récit qu’elle lui écrit d’un hôpital psychiatrique du sud-ouest de l’Angleterre. En voilà des représentations que l’on trouve peu en littérature et qui nous ont donné l’envie immédiate d’en lire plus. Ajoutez à cela une ambiance de vieille boutique d’antiquaire poussiéreuse donnant au tout une atmosphère surannée autant qu’atemporelle bien particulière et vous comprendrez que, dès le premier chapitre, Nina Allan m’avait hameçonnée.
Tromper nos attentes
Car sans trop savoir grand chose de ce roman mis à part ce que m’en disais le résumé, j’ai été surprise de découvrir le véritable labyrinthe dans lequel parvient à nous perdre Nina Allan. Le créateur de poupées est formé sur un principe d’enchâssement des récits qui en fait un objet littéraire protéiforme :
• Un premier fil narratif se déroule aux côtés d’Andrew, en route pour rencontrer Bramber dans le sud-ouest de l’Angleterre.
• Un second fil narratif, nous fait suivre la correspondance d’Andrew et Bramber. De fait c’est suite à la parution d’une petite annonce dans une revue spécialisée sur les poupées, qu’ils entament une correspondance au sujet, au départ, d’Ewa Chaplin, créatrice de poupée Polonaise et autrice sur laquelle Bramber mène des recherches.
• Ces deux récits sont enfin entrecoupés par des nouvelles (5 en tout) de ladite Ewa Chaplin que nous semblons découvrir en même temps qu’Andrew.
Voilà donc la forme que prend ce roman, grossièrement. Mais ce serait faire insulte au travail de l’autrice que de considérer que les choses s’arrêtent là. De fait, Nina Allan multiplie les couches de réel et de fiction au point, à la fin de nous faire douter de la réalité de certains personnages. On nous évoque ainsi Velasquez, Schubert, des artistes qui ont contribué à la représentation de personnes naines dans l’art. Et au milieu de tout ça, des références auxquelles Nina Allan donne toute l’apparence du réel mais qui ne sont que fiction.
« Quant à la requête de Bramber – des informations sur Ewa Chaplin -, je me trouvais là en terrain moins assuré. J’avais entendu parler d’Ewa Chaplin, évidemment. Artiste de grande renommée, à la production infiniment réduite, c’était une Polonaise émigrée arrivée à Londres lorsque la Seconde Guerre mondiale avait éclaté. »
Le créateur de poupées, Nina Allan, Éditions Tristram, 2021, p. 25.
Une fois que j’ai réalisé la manière dont l’autrice jouait avec le réel et avec nous, ses lecteur.ices, j’ai senti mon intérêt pour ce texte grandir encore. Comme un immense puzzle dont j’aurais été chargée de rassembler les pièces.
On se retrouve parfois avec quatre couches de fiction puisqu’on lit une nouvelle d’Ewa Chaplin (1) qui se trouve dans les mains d’Andrew (2) dans laquelle le personnage (3) de Sonia découvre le film de Marek Adorno, Le Loup de Varsovie (4). C’est hautement enthousiasmant et déroutant ce genre de lecture, on va pas vous mentir !
Le personnage et ses doubles
De récits en récits, Nina Allan tisse des significations plus large et déroule des motifs que l’on retrouve d’un fil narratif à l’autre. Au fur et à mesure que l’on avance dans le récit, les parallèles entre la vie d’Andrew et les évènements vécus par les personnages de la fictive Ewa Chaplin dont il découvre les nouvelles en même temps que nous se multiplient. Chaque nouvelle est comme un nouveau tableau permettant à Nina Allan de parler de la marginalité et de l’histoire des marginalités de manière plus générale. Ainsi on retrouve beaucoup de personnages mis en marge de la société pour leurs différences physiques, que ce soit une déformation des mains liée à de l’arthrose ou bien l’absence d’un œil à la naissance.
Mais au-delà de cette question de la marginalité dans laquelle semble se retrouver pleinement le personnage d’Andrew, c’est aussi des parallèles clairs et beaucoup plus précis avec ce qu’il est en train de vivre qui se tissent au point que le personnage lui-même se met à douter de sa propre réalité :
« Formulation élégante, je l’avoue, sauf que les histoires d’Ewa Chaplin semblaient vraiment m’arriver à moi, m’imposant leur présence d’une manière qui, sans être terrifiante – une histoire est une histoire, après tout – était à tout le moins déconcertante. »
Le créateur de poupées, Nina Allan, Éditions Tristram, 2021, p. 188.
Le frisson que nous décrit le personnage d’Andrew à la page 296, c’est également le genre de sentiment de déréalisation que l’on ressent quand on lit ce genre de texte :
« J’eus du mal à dormir après avoir lu « Coïncidence ». Une fois de plus, je notai d’étranges similitudes entre l’histoire et la réalité – la manière dont Wil dans la nouvelle avait trahi Sonia, par exemple, n’était-elle pas une version plus sombre, plus fantasmée, de la trahison de Bramber par Edwin ? […] J’étais saturé de coïncidences, j’en tremblais même, comme si j’étais d’une façon ou d’une autre manipulé à mon insu. Comme si – et je sais que c’est un cliché – j’étais moi-même un personnage dans l’une des nouvelles d’Ewa Chaplin. »
Le créateur de poupées, Nina Allan, Éditions Tristram, 2021, p. 296.
Ainsi on découvre au fil des nouvelles d’Ewa Chaplin des personnages (doublement) fictionnels qui sont comme des doubles d’Andrew, de Bramber et des personnes qui les entourent avec lesquels ils fonctionnent en miroir. L’amour naissant d’Andrew pour Bramber semble ainsi se dévoiler entre les lignes des nouvelles de Chaplin :
« Leur destin était écrit. Et tel était bien le sujet du tableau de Schilling : la duchesse, prise au summum de sa puissance, et le nain revendiquant son humanité. Voilà ce que cela signifie d’aimer, comme un feu qui dévore la forêt. »
Le créateur de poupées, Nina Allan, Éditions Tristram, 2021, p. 78.
Un sentiment amoureux qui nous sera confirmé dans la nouvelle suivante : « Le nain et l’infirme, la phénomène. Fallait-il s’étonner qu’il se sente attiré par elle ? » (p. 113)
La lecture de ces nouvelles semble toucher et faire avancer le personnage d’Andrew. Grâce au pouvoir de la fiction et de l’identification, il appréhende mieux ce qu’il ressent et dans le même temps, les lecteur.ices acquiert une meilleure compréhension de ce qu’il traverse. Et c’est absolument fascinant.
Avec Le créateur de poupées Nina Allan nous propose un univers absolument fascinant. Elle joue avec ses lecteur.ices, déjoue nos attentes et à notre tour, nous devenons des marionnettes manipulées par l’autrice. Se dessine devant nous une histoire d’amour et des marges sous forme de grand puzzle auquel il ne tient qu’à nous d’assembler patiemment les différentes pièces. Un récit enthousiasmant qui nous donne envie de plonger tête la première dans le reste de son œuvre !
On espère que cette chronique vous aura plu et vous aura rendu curieux.ses de découvrir l’œuvre de Nina Allan comme on est nous aussi curieuses de découvrir le reste de ses textes !
On se retrouve prochainement pour une nouvelle découverte littéraire qu’on espère aussi bonne. D’ici là, portez-vous bien les copaings,
Votre bonne vieille Tata Alberte.