En deux mots
En débarrassant les affaires de sa grande-tante décédée, Alice prend connaissance d’une coupure de presse retrouvée par son frère et qui relate un accident d’avion survenu en 1976. Il a coûté la vie à ses oncle et tante Olivier et Yvonne. Commence alors une passionnante enquête pour retrouver leur histoire et comprendre le silence entretenu autour de ce drame.
Ma note
★★★ (bien aimé)
Ma chronique
Faire parler les silences
Dans son premier roman, Sophie Berger retrace l’enquête menée par la narratrice pour connaître la vérité sur la mort de son oncle et de sa tante dans un crash d’avion. Une exploration intime des non-dits familiaux et du poids du silence sur plusieurs générations.
« Un avion s’écrase sur un hameau : trois morts, deux jeunes mariés et le pilote. » C’est en débarrassant les affaires de leur grande-tante, après sa mort, qu’Alice et ses frères et sœurs, Étienne, Adrien et Sarah découvrent une coupure de presse datant de 1976 dans une pile de linge. Elle relate la fin tragique d’Olivier et Yvonne, leurs oncle et tante, quelques jours après leur mariage. Ce drame, soigneusement occulté par sa famille, devient le point de départ d’une quête personnelle visant à exhumer une histoire enfouie sous des décennies de mutisme.
« J’avais grandi dans un monde où certaines absences n’étaient jamais nommées. Mais le silence pèse toujours plus lourd que les mots. » explique Alice, qui décide de mener l’enquête et de faire sauter la chape de silence entretenue de génération en génération.
Elle scrute des photographies jaunies, dépouille des archives, consulte des articles de presse et interroge des témoins de l’époque. Elle arrive à situer l’endroit exact du crash, dans un hameau proche du Guilvinec. Retrouve les membres de l’aéroclub d’où leur avion a décollé. Puis une fille qui avait 10 ans à l’époque et a échappé de peu à la mort, l’avion s’étant écrasé à quelques mètres de la voiture dans laquelle elle attendait. Elle interroge aussi le policier chargé de l’enquête et prend connaissance de son dossier. Enfin, elle obtient de pouvoir consulter le rapport du BEA, Le Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile. Chaque découverte est une pièce supplémentaire dans le puzzle de cette mémoire familiale fragmentée. Les bandes-son rock’n’roll des années 70, écoutées en boucle par Olivier et sa bande, servent de toile de fond sonore à cette reconstitution, conférant au récit une atmosphère nostalgique et immersive. « La musique était leur refuge. Une façon de dire ce que les mots ne pouvaient pas. »
Mais plus elle avance et plus elle se rapproche de son père et de sa mère, restés silencieux durant des années. « La douleur ne tient pas dans les mots, alors on la fond dans une ouate sourde ».
Alice, en brisant ce silence, permet non seulement de redonner vie à Olivier et Yvonne, mais aussi de se réapproprier son propre héritage familial. Cette démarche cathartique souligne l’importance de la parole et de la mémoire dans la construction de l’identité. « Parler d’eux, c’était les arracher à l’oubli. Leur redonner une place parmi nous. »
Sophie Berger, réalisatrice sonore de profession, insuffle à son écriture une musicalité particulière. Son style est à la fois précis et délicat, évitant avec adresse les écueils du pathos. Les phrases courtes et rythmées reflètent la démarche d’Alice, faite de tâtonnements et de révélations progressives. Les descriptions des paysages bretons, notamment du Guilvinec où reposent les jeunes mariés, ajoutent une dimension poétique au récit, ancrant l’histoire dans une réalité tangible et émotive. « Le vent soufflait sur les falaises, emportant avec lui les échos du passé. »
Son roman explore avec finesse les méandres de la mémoire et les cicatrices invisibles laissées par les secrets familiaux. « C’est bien ce que vous faites Alice, lui dit une protagoniste, on devrait toujours laisser les morts entrer dans nos vies. »
Banc de brume
Sophie Berger
Éditions Gallimard
Premier roman
240 p., 20 €
EAN 9782073035202
Paru le 11/01/2024
La version poche paraîtra le 19/06/2025
Où ?
Le roman est principalement situé en Bretagne, au Guilvinec, à Treffiagat, Guidel, Pont-l’Abbé, Pont-Aven, Concarneau, Ploemeur Loctudy, Tréguennec, Quimper, Belle-Île, Quiberon, Rennes, Pontivy, Landévennec, Lorient, Groix. On y évoque aussi Nantes, Paris, Poitiers, Chambéry, Le-Bourget-en-Achéron, Saint-Aygulf ou encore Cadaquès.
Quand ?
L’action se déroule de 1976 à nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
« Je suis restée l’enfant qui n’ose pas demander qu’on lui explique. Celle qui se tait. Celle qui entend le coup de téléphone tardif, qui sonde le ton de la réponse de sa mère, celle qui cherche des indices dans la voix des adultes, dans le brouhaha ambiant, dans le bruit du monde. »
D’Olivier et Yvonne, jeunes mariés morts dans un accident d’avion en 1976, leur nièce Alice n’a jamais rien su. La sidération a confisqué l’histoire. Devenue réalisatrice son, elle se lance dans une recherche qui la mène à recomposer leur destin. Alice scrute les photos, fouille les archives et articles de presse. De la bande-son rock’n’roll aux récits des témoins retrouvés émerge peu à peu l’écho d’une jeunesse des années 70. La preneuse de son explore le silence qui a entouré le drame familial, pour en découvrir les résonances dans le présent, au-delà de la seule sphère intime.
Délicat et juste, ce premier roman de Sophie Berger est une réflexion sur le deuil, et sur la nature du silence qui l’accompagne parfois d’une génération à l’autre.
Les critiques
Babelio
Culture Tops ( Bernard Chave)
Karoo (Nicolas Baudouin)
Blog Encres vagabondes
Blog Livres de Folavril
Blog Baz-Art
Blog Mémo Émoi
Sophie Berger « Ecrire, mode d’emploi » © Production Éditions Gallimard
Les premières pages du livre
« 1
Debout devant le miroir, je scrute mon reflet dans une veste aviateur col mouton, marron glacé. Elle avait du goût, la vieille. Mes frères continuent de trier. Il faut débarrasser, les morts laissent toujours trop. Ma sœur siffle dans ma direction avant de replonger dans la garde-robe de Raymonde et on éclate de rire, même si on ne sait pas s’il faut rire ou pleurer, un jour comme celui-là. Le papier peint des murs nous rend un écho tordu. Face à l’armoire, Étienne ne bouge plus. Il tient un morceau de journal qu’il vient d’extraire d’une pile de linge. Adrien, Sarah et moi, on s’approche tous les trois de notre frère. Sans bruit. On voit un article avec une photo sans couleur, floue et jaunie. On lit : « Un avion s’écrase sur un hameau : trois morts, deux jeunes mariés et le pilote. » Sur l’image, on ne distingue pas bien la ferme que la légende annonce, mais on voit des gendarmes. Étienne est toujours immobile. Adrien se laisse tomber sur le lit, les ressorts s’en plaignent. Sarah ôte le chapeau cloche bordeaux qui lui mange le front. Un relent de naphtaline s’échappe des vêtements pliés sur l’étagère. Ça pique le nez. Sur la table de chevet, la trotteuse d’un réveil sans âge scande les secondes à côté d’un fatras en attente d’une routine révolue : un chapelet en buis, une boîte de médicaments entamée, une lampe ébréchée, une grille de mots croisés inachevée, coup en 4 lettres – CHOC, un Bic bleu sans bouchon.
C’est la première fois qu’on trouve une trace tangible de l’accident de notre oncle Olivier et de notre tante Yvonne. Cet article, ça ne peut être que ça. Qu’aurait-elle pu ainsi conserver d’autre, la grand-tante ? Tout ce qu’on savait, c’est qu’ils étaient morts tous les deux, dans un accident d’avion, quelques jours seulement après leur mariage en Bretagne. Cette histoire de ferme sur laquelle l’avion serait tombé, ce bout de papier conservé au milieu des mouchoirs bien repassés nous l’apprend. Bizarrement, on n’a pas eu assez d’imagination pour prévoir qu’il existait des articles de presse sur le drame. On s’était habitués au silence dur qui entourait l’oncle et sa femme. Une seule fois, il avait menacé de rompre. Mon père était devenu blême, ma mère rouge. Elle avait articulé des mots qui n’étaient pas parvenus à mes oreilles. Le son échoué au-dedans. Une pâte molle en bouche, au goût de sel des larmes qui s’étaient frayé un chemin sur son visage. Les corps s’étaient chargés de nous passer la consigne. On s’était rangés au silence. Ça nous avait paru évident. Même pas un raisonnement. Une réaction d’enfant. Instinctive. Un ricochet qui s’est prolongé jusque dans l’âge adulte. Olivier et Yvonne : l’oncle et la tante inconnus.
Le bruit d’un verre brisé sur le carrelage à l’étage du dessous colmate notre surprise. En bas, les grands-parents vident une partie du buffet : des couverts déversés dans des sacs en plastique, des assiettes en faïence bleue empilées. Étienne tient toujours le morceau de journal. Ses yeux font des allers-retours. La porte de la chambre, l’article. Quand, gamin, il chapardait des fraises Tagada dans la boîte Quality Street du placard de cuisine, il avait la même tête. Il ne faut pas que les grands-parents voient qu’on a vu. Je me dis ça. On a peur d’être pris en flagrant délit, même si on ne sait pas trop de quoi. C’est stupide. On est en 2010, on a tous les quatre entre vingt et trente ans. On remet l’article là où on l’a trouvé. On n’en parle pas. On ne parle plus.
On dirait qu’on vient d’apprendre la mort de quelqu’un, là, dans cette chambre. On n’a fait qu’apprendre des détails sur des morts de quelques décennies déjà. On retourne ranger les affaires de l’aïeule. Chacun reprend sa place. Le miroir surprend ma mine défaite. J’ai toujours la veste sur moi, elle est beaucoup trop chaude.
2
Quand le directeur du festival de Brest m’appelle pour me proposer de mener des ateliers radio dans un lycée maritime, j’accepte sans trop hésiter. C’est la fin du premier confinement : 2020 a imprimé son ralenti sur mon activité de réalisatrice son. Il me parle du lycée maritime du Guilvinec, à une heure et demie de route d’Étel, où je vis. Il sait que j’y serai à l’aise, il connaît mes pièces radiophoniques ; elles regorgent d’océans et de marins. Il me donne rendez-vous au Guil’ à la rentrée scolaire. Je n’ai rien laissé paraître mais le nom a déclenché en moi le rappel de l’accident de l’oncle et la tante. Le Guilvinec. Une piqûre qui lance dans un membre fantôme. J’ai toujours su que des preuves du drame familial existent là-bas, quelque part sous terre.
Septembre sonne. Il faut bien y aller, au Guilvinec. Un premier atelier, des gamins de dix-sept ans me parlent du patron de pêche avec qui ils ont embarqué l’été. Parfois un oncle, un père. La pêche en héritage. D’autres sont là pour éviter de faire des conneries. Simplement ça. Dans mon sac : une paire de petites enceintes, des micros statiques, mon Nagra. On écoute ensemble une de mes pièces maritimes. Ils reconnaissent le bruit des moteurs du navire. On va sur le port, juste à côté, et ils prennent tour à tour les micros et l’enregistreur.
Le Bara Breizh est à quai, le poisson déchargé depuis longtemps. Un élève monte à bord et s’approche d’un des hommes en train de ramender le filet. L’élève tend maladroitement le micro. Son premier enregistrement. Essaye de capter le son des gestes, de l’aiguille qui fait des allers-retours entre les mailles du chalut déchiré. Il s’approche de la bouche de l’homme, se demande s’il va parler, s’il doit lui poser une question. Je lui fais des signes pour l’encourager. Ne te presse pas et assume ton geste. Ne pense pas que tu prends quelque chose quand tu prends du son, que c’est un vol, au contraire, c’est un don, un échange. C’est une relation. Donne-lui ton regard, donne ton sourire, sois présent, là, maintenant, avec lui. Le son portera la trace de cette relation, il faut qu’elle existe, que tu la fasses exister. Le micro ne captera rien tout seul. C’est le corps du preneur de son qui décide. Le son passe par ce corps. Écoute vraiment, et laisse-toi guider par ton écoute. Ferme les yeux au besoin, pour mieux entendre. Et laisse le son se déployer, laisse-lui le temps. Fais pareil pour la voix. Laisse-lui l’espace. La liberté. Ne pose pas trop de questions, mais sois là, avec ton corps, en silence. La voix dit tout d’une personne. Elle livre au-delà des mots, c’est un bain révélateur.
À la sortie de l’établissement, je reprends ma voiture sur le parking qu’occupent les fumeurs. À quelques centaines de mètres, la rue de la gare débouche sur l’entrée du cimetière. Même pas un détour. Je cherche longtemps à travers les rangées de pierres. Les allées récitent leurs fantômes. Je cherche les miens. La tombe qui réunit Olivier et Yvonne pour l’éternité. Mes pas sur les gravillons se chargent de la BO de notre première rencontre.
La tombe est là. Au coin d’une rangée, près d’un muret de pierre. Une inscription sobre en lettres dorées scelle leur destin commun. Leurs deux noms accolés à la date de leur décès. Presque quarante-cinq ans qu’ils ont été déposés là. J’essaye de former une image de toute ma famille réunie à cet endroit précis, un jour de janvier. Vertige. Quelque chose qui se contracte dans le ventre. Il n’y a que le soleil de septembre qui éblouit et fait buter mon imagination.
J’ai l’impression qu’il faut trouver quelque chose à faire ou à dire. Quelque chose qui sonnerait comme des présentations. Salut, moi c’est Alice. Je suis votre nièce. La fille de ta sœur, Olivier. Enfin, je suis la troisième. Il y a aussi Étienne, Adrien et Sarah. J’ai trente-cinq ans. Voilà. Je souris. Ils ne peuvent pas m’entendre. Mais je sens que ça se fissure en moi. C’est bizarre de se montrer là, maintenant. Qu’est-ce qu’on a foutu tout ce temps, nous, les neveux et nièces ? Ça ne m’a jamais gênée de ne pas connaître leur histoire. Pourtant, là, devant leur tombe, ça m’apparaît incongru. Plus encore : insupportable. Comme un oubli volontaire auquel j’ai pris part. Une omission qui recèle sa part de violence. Je sais si peu de vous. Tout éclate brutalement là, dans le reflet du marbre gris.
Plus loin, un couple arrange un pot d’azalées. Je m’assieds sur le coin de la tombe. Je ne sais pas très bien si j’en ai le droit, mais personne ne fait attention. Je n’ai plus de jambes. Ça fourmille. Pas la force de continuer les présentations. Ça me colle une impression de visiter un vieux couple de parents enracinés dans une campagne, que je n’aurais pas vus depuis longtemps, avec la culpabilité d’avoir mené une vie ailleurs, à la ville, sans être jamais revenue sur mes pas. L’heure du retour a sonné. Ça sent la honte. Des questions restées dans la gorge, neutralisées plus en amont, avant même d’exister dans le cerveau. Comme une anesthésie hyper localisée autour d’Olivier et Yvonne. Ne pas causer de peine à ma mère, ne pas faire couler ses larmes, ne pas remuer cette histoire, ne pas même l’évoquer. Ne pas, ne pas. La négation intégrée au-dedans jusqu’à ne plus la voir. La pierre gravée lui redonne chair.
Quand mon corps devient tellement encombrant que je ne sais plus comment me tenir là au milieu de la gêne et de la culpabilité, je tire le téléphone de la poche de mon gilet lâche. À défaut de venir, les frères et sœur pourront au moins voir une photo de ce coin d’allée. Le téléphone capture la pierre avec le son factice de l’obturateur reflex.
3
Alice, quand tu nous as envoyé la photo de leur tombe, l’autre jour, j’ai réalisé à quel point on ne sait rien ou presque. D’eux. De leur vie. Leur accident. On devrait se documenter. Je ne pensais plus à cet article trouvé chez Raymonde, mais il me semble avoir gardé en mémoire une photo de gendarmes dans une cour de ferme. Je ne crois pas en avoir de copie.
Le texto d’Étienne m’arrive un matin. Aucun de nous n’avait eu l’idée de faire une photo de la coupure de presse. On n’avait fait que perpétuer le silence qui poisse cette histoire depuis le début.
Des gendarmes dans une cour de ferme. J’essaye de reconstituer le cliché noir et blanc, en vain. Vient s’y substituer une autre image, que je croyais être celle du journal. C’est celle-ci que ma mémoire a conservée. Ou plutôt fabriquée, sans doute. Une ferme éventrée. Les décombres d’une bâtisse qui attestent de la violence d’un crash d’avion. Je suis incapable de dire où se situe la ferme. Au Guilvinec, où ils sont enterrés ? Ailleurs en Bretagne ? Plus loin peut-être ?
Je suis là, dans la cuisine ; mon téléphone à l’écran cassé me ramène à ma mémoire en morceaux. À l’étage, Yann aide Léonie à monter son circuit de train. J’entends sa petite voix. Encore, encore. Je l’imagine apporter à son père, un à un, les rails en bois, en repoussant, de l’autre main, la mèche de boucles blondes qui lui tombe sur les yeux. Quand il rentre de la pêche, Yann peut rester des heures à jouer avec elle. Rattraper les mois passés en mer sur le thonier senneur. Deux mois, parfois un peu plus, pendant lesquels sa fille n’existe que par une succession de messages-photos en quantité limitée. Jamais de vidéos, trop lourdes pour ses connexions Internet par satellite. Rarement des appels. Qu’est-ce que ces clichés peuvent dire de Léonie qui grandit de jour en jour ? La vie syncopée sur écran. Des à-coups de réel mal cadrés et muets. Il le sait. Chaque fois qu’il rentre, l’impression de retrouver une autre enfant que celle qu’il a laissée. La joie folle des retrouvailles foudroyée par l’éloignement palpable. Cette façon de tenir sa cuillère. Les traces de la vie écoulée dans le corps, les gestes, la voix. Le temps a passé sans lui. Les premiers mots, ratés. Les premiers pas. Premiers anniversaires. La vie continue de se dévider. Les retours de Yann contiennent toujours ça : la violence encastrée dans l’euphorie. Son absence dans sa présence. Alors il fait ce qu’il peut, lorsqu’il est à terre, à la maison à temps plein. Ils ont leurs rituels. Ils s’assoient en Indiens dans la chambre aux murs vert pomme, et Yann raconte à Léonie des histoires de marins et de pirates qui finissent par des attaques de baisers et des crises de rire. Elle voudrait que ça dure longtemps. Avec lui, elle fait souvent le signe de l’index au creux de sa main, celui qu’elle a appris, bébé, quand elle n’avait pas les mots. Encore, encore. Ensuite, elle sort une de ses caisses de jeux et Yann s’y prête avec une bonne volonté qui n’en finit pas de me fasciner. J’ai toujours un œil sur mon téléphone. Lui, jamais. C’est un objet qui n’a aucun sens pour lui. En mer, il n’a pas de réseau. À terre, il n’a pas de rendez-vous, pas d’emploi du temps, il vit au présent. Son répondeur encaisse les messages. Son entourage sait qu’il ne faut pas attendre qu’il rappelle.
Sur l’écran de mon smartphone : le message d’Étienne. Se documenter. Le mot enfle. Il ouvre une brèche en moi. Rechercher des articles de journaux sur l’accident, je ne l’avais jamais envisagé. Je n’étais pas née quand ça s’est produit. Mes frères et ma sœur non plus. Étienne est arrivé pile un an après leur mort, comme une façon de renouveler l’air de janvier. Ma mère est l’unique sœur de l’oncle disparu jeune. Dans sa vingtaine.
Se documenter. Je prends le message de mon frère comme une autorisation. Le verbe à l’infinitif danse dans mon esprit. Je ne ferais rien de mal, je chercherais juste à me documenter. C’est parfait, ça fait bonne élève ; après tout, je l’ai toujours été. Dans Google, je tape : accident d’avion 4 janvier 76 Bretagne. Rien. Bretagne crash avion morts 4 janvier 1976. Douze victimes de février 70 dans un avion bimoteur à Lann-Bihoué. Rien sur mes morts. Je ne sais pas quoi ajouter à ma recherche. Ce qui me frappe soudain, c’est l’étendue d’un silence qui a limé tous les détails. Le passé n’offre aucune prise. Il s’est dérobé.
4
L’image perdure dans la mémoire, implacable et statique, comme l’était ce portrait photographique. Le cadre de verre du couloir de la maison d’enfance enserrait trois photos. Perdu définitivement le souvenir de deux d’entre elles. À la surface du mur, des creux formés par la paroi légèrement enfoncée par endroits. La sensation persiste encore sous mes doigts. Grain très fin. Un papier peint velouté, violet bariolé, à petites fleurs roses. Une pluie de fleurs, du plafond au sol, d’un kitsch total, qui n’a jamais semblé déranger les parents. Le cadre, là, derrière la porte d’entrée – était-ce vraiment un cadre ? Un verre sans bord, qui renfermait la photo de l’oncle disparu. La troisième photo. Pull rouge col en V, pantalon pattes d’eph, cheveux ondulés. Dans cette photo, passée par les années et les rayons du soleil, se dissout intégralement le souvenir de mon oncle. L’image révélée n’a jamais offert aucune réalité à cet inconnu photo couleurs. Olivier pose jeune homme, une maison à l’arrière-plan. Dans l’herbe, assis comme lui, son chien Ludo, seul à regarder l’objectif. Kodak argentique deux cent vingt grammes en dix par quinze : première trace de son existence.
Le matin, odeur de pain grillé persistante, je m’asseyais sur l’escalier de bois pour mettre mes chaussures. La marche craquait au moment où mon regard se relevait, forcément en direction de la photo. Je repense à une paire de souliers en nubuck bleu, doux comme le papier peint, que je commençais inévitablement par enfiler pied gauche à droite, sous le sourire figé de l’homme au chien. Je n’ai aucun souvenir du jour où j’ai pointé le doigt vers cet inconnu qui me surveillait tous les matins. Je ne sais pas si c’est avant ou après m’être aperçue que le même cliché se trouvait dans un autre cadre, sur la nappe de dentelle blanche, dans le salon de mes grands-parents. Mais je suis certaine d’avoir demandé qui était l’homme qui souriait, pull rouge sous le ciel bleu. L’émotion assurément dans l’explication laconique de ma mère, les nasales trémolos et le son de la porte d’entrée qui s’est ouverte après, sans doute, pour le départ à l’école.
Les fleurs roses se sont fanées ce jour-là, au mur de la maison de la petite fille. Alice a fait comme si. Le cartable Tann’s a pesé une tonne, et les chaussures bleues délavées ont fait semblant de la porter. Allée dallée pour rejoindre la Renault bleu marine : dos arrondi, tête baissée, bretelles qui scient les épaules. La coquille de l’escargot jusqu’à la voiture. Le fardeau qu’on dépose sur le plancher du véhicule. Starter et démarrage embué, les questions qu’on retient dans la gorge pour toujours. La raideur de la banquette arrière, le dos redevenu bien droit, plaqué contre le froid synthétique de la Super 5.
5
Si je liste les pièces du puzzle, il y a si peu. Un mariage et un accident d’avion, peu de temps après. Je ne saurais pas dire au juste : peut-être quatre, peut-être huit jours ? Deux cérémonies la même semaine ? Un couple. Olivier, mon oncle jeune homme, éternellement seventies. Yvonne, dans sa robe de crêpe blanche, la seule que je lui connaisse, celle du cadre photo sur la commode des grands-parents – jeune mariée pour toujours. Tout entière dans son mystère sous le voile en dentelle. Leur chien Ludo, que j’ai souvent retrouvé sur des clichés familiaux. Après l’accident, le chien avait été recueilli par mes grands-parents. Mes frères l’ont bien connu. Dans les albums, je l’ai parfois confondu avec l’autre setter anglais, celui que les parents d’Olivier avaient repris, après la mort de Ludo. Diabolo en était la copie conforme. Je me suis souvent demandé, petite, pourquoi les grands-parents étaient aussi attachés à leur chien. Sans l’accident de leur fils, ils n’en auraient certainement jamais eu. Et ce legs bien vivant a sans doute été une façon de continuer d’aller de l’avant. Je revois mon grand-père, colonel à la retraite, raide jusqu’à la fin de sa vie, promener le setter au bord du lac du Bourget, qu’il avait choisi pour y couler une retraite sédentaire après les déménagements successifs auxquels sa vie professionnelle l’avait habitué. Ce retour aux paysages de son enfance, près des montagnes, sur l’autre rive du lac, il l’avait attendu longtemps. Il était d’abord revenu dans la région, vivre à Chambéry, lorsque Sylvie et Olivier étaient adolescents, et puis le magnétisme du lac l’avait fait déménager dès qu’il avait pu. Je me demande si c’était le maître qui promenait le chien ou l’inverse. Juste après l’accident, la laisse avait peut-être tracté un mort-vivant de ce côté-ci du rivage. Le Bourget-en-Achéron.
Dans ma liste encore, la cause de l’accident. Peut-être un orage. Impossible de situer le lieu du crash. Subsiste seulement le nom de la ville où ils sont enterrés et ont probablement vécu. Le Guilvinec : petite localité côtière du Finistère. Et puis cette date. 4 janvier 1976. Elle agit sur nous comme un philtre maléfique. C’est par la date que l’histoire s’est glissée dans nos vies. C’est par cette poisse sourde qui collait à nos Noëls de gamins et aux débuts de janvier que l’histoire a transpiré. Une chimie qui s’est passée de mots. Un héritage entré par les pores de nos peaux d’enfants.
Le puzzle s’arrête presque là. Ou plutôt, il s’est longtemps arrêté là. Jusqu’à la mort de Raymonde et cette équipée pour vider la minuscule maison de l’aïeule. 2010. Là, l’armoire. L’article de journal. Le coup au cœur. Et cette photo que ma mémoire n’a pas enregistrée. L’avion tombé sur une ferme. Mais où ? L’article l’avait forcément mentionné. On ne quitte pas si facilement le silence. Les éléments qui auraient dû le trouer avaient glissé dessus sans laisser aucune trace.
Quelques mois plus tard, il y a eu cet autre signe isolé. L’été qui a suivi le décès de Raymonde, je suis partie visiter la Bretagne. À cette époque-là, je terminais mes études d’ingénieure du son à Paris. J’ai emprunté la vieille Super 5 de ma mère à Nantes et j’ai pris les routes avec mon petit ami. Pont-Aven, Concarneau, Pont-l’Abbé. Léo et moi, vingt-cinq ans, le grand amour qu’on se jure dans les yeux au bord d’une départementale, Shakira, Waka Waka, et Stromae, Alors on danse, dans l’autoradio. Le grand-père de Léo, chirurgien parisien réputé, avait longtemps fait cette route, à une autre époque. Il descendait une fois par mois dans un hôpital à Pont-l’Abbé, soigner le mal du pays bigouden : les luxations congénitales de la hanche. Quand j’ai rendu les clés de la Renault à ma mère, avant de reprendre mon train, j’ai raconté les cités bretonnes, le soleil sur la peau, les plages de sable. J’ai dessiné le parcours sur une carte mentale. Le nom de Pont-l’Abbé a déclenché une révélation qui a fait semblant de ne pas en être une. Tu sais qu’Yvonne était infirmière à l’hôpital de Pont-l’Abbé. Je me souviens de la cuisine de ma mère à cet instant. La toute petite cuisine humide, de la femme qui était en train de reconquérir sa liberté depuis qu’elle avait quitté mon père. J’ai entendu l’horloge battre les secondes et j’ai regardé la louche qui séchait dans l’égouttoir. Elle ne m’était d’aucun secours. Rien ne trompait notre silence.
À Paris, au retour, le nom de Pont-l’Abbé a provoqué un second séisme que je n’ai pas perçu. Lors d’un dîner chez une amie retraitée, on a raconté nos vacances. Marie-Paule nous connaissait d’une émission de radio pour laquelle on travaillait tous les deux, Léo comme journaliste pigiste, moi, comme stagiaire à la réalisation, pour valider mon diplôme d’ingénieure du son. L’émission se passait en direct et en public dans un café argentin, la radio y posait ses valises chaque fin de semaine. On déployait des racks de matériel dans un coin, près du comptoir. Marie-Paule y assistait souvent et s’était prise d’affection pour nous. On avait l’âge des petits-enfants qu’elle n’avait pas eus. Quand elle nous a reçus dans son appartement du cinquième arrondissement, on a raconté notre été et la Bretagne, qu’elle avait bien connue, plus jeune. Elle faisait partie des Bretonnes montées à Paris. La capitale lui avait offert le salut de l’anonymat. À Pont-l’Abbé, elle était devenue pour tous la femme délaissée par son mari, médecin parti avec une patiente plus jeune. Elle ne voulait pas croiser l’autre à la boulangerie. Léo a raconté son grand-père, Marie-Paule a décrit l’homme, versant professionnel. Il disait mon grand-père, elle, le professeur Bernard. Elle souriait timidement à cet homme en blouse, dans les couloirs de l’Hôtel-Dieu de Pont-l’Abbé où elle travaillait comme infirmière-anesthésiste, aux côtés de quelques laïques, rares parmi les bonnes sœurs qui y officiaient, dans les années 70. Je ne sais plus si la coïncidence avait déjà été établie avant ce dîner ou pas. Peut-être que c’était même pour cette raison qu’elle nous avait invités chez elle. Quand on a débarrassé les assiettes, j’ai tenté avec détachement :
— Et alors peut-être que tu as connu ma tante également ? Je viens d’apprendre qu’elle travaillait aussi à l’hôpital de Pont-l’Abbé. Elle était infirmière.
— Comment s’appelle ta tante ?
— Yvonne. Mais elle est décédée. Jeune.
Yvonne. Le prénom a agi comme un coup d’éclair. Mon Dieu, Yvonne. Elle se souvenait si bien qu’elle ne disait plus rien. Elle revoyait sa collègue, pleine de vie, dans les couloirs de l’hôpital, et puis la silhouette de mon grand-père, le jour de l’enterrement. Digne, raide. Un grand monsieur. Derrière la description, j’ai reconnu celui que j’avais toujours appelé Grand-père. Et j’ai été émue, ce soir-là, d’avoir accès, pour la première fois, aux bribes d’une histoire qu’on ne m’avait jamais racontée. Elle était aussi troublée que moi de voir surgir la trace de ces morts de Bretagne. J’ai bricolé quelques images à partir des mots de Marie-Paule. Bien sûr, tout le monde était là. Pour le mariage et pour les obsèques. La même semaine. Bien sûr, tout le monde a été marqué, tu sais. Bien sûr, je ne savais rien.
6
Brigitte Bardot est dans les murs ! Brigitte Bardot est dans les murs !
Yvonne parcourt le couloir du service d’orthopédie de l’Hôtel-Dieu à la recherche de sa collègue pour lui annoncer. Nicole croit d’abord à un canular. Yvonne a de la malice sous ses airs sérieux. Sans doute pas pour rien qu’elle sort avec un garçon comme Olivier. Elle le lui a présenté la semaine dernière, ils sont allés boire un verre tous les trois chez Mimile, sur le port, à Treffiagat.
— Viens voir.
Yvonne entraîne Nicole au bout du couloir. Sur le palier du premier étage, tous les malades sont amassés là, devant la cage d’ascenseur en verre. Sous leurs yeux, des plâtrés, des béquillés, des perfusés, équipés mobiles, des fauteuils roulants.
— Ils attendent qu’elle redescende. Les visites sont terminées, elle ne devrait plus tarder, souffle Yvonne à l’oreille de Nicole. Mais regarde-moi ça !
Les blouses de l’hôpital, attachées par un cordon dans le haut du cou, laissent dépasser des dizaines de paires de fesses blanches et ramollies. Les types se pressent contre la paroi vitrée. Ils jouent des cannes. Personne pour les chasser. Les sœurs en chasubles noires sont parties à vêpres. La cloche de la chapelle du monastère, juste en face, vient de battre le rappel. À cette heure, il n’y a plus que Nicole et Yvonne.
La machinerie se met en branle. Le câble bouge et tracte la cage. Un dernier traîne-la-patte dépasse Yvonne et Nicole pour venir s’agglutiner contre les autres en espérant n’avoir pas raté le spectacle. Une paire de jambes chaussées de cuissardes noires apparaît derrière la vitre de la porte de l’ascenseur. Apnée générale. Ils retiennent leur souffle, même ceux qui n’en ont plus. Exclamation collective à la vue de la minijupe. Quelques-uns s’égosillent dans l’espoir de la faire se retourner. Mais elle n’offre que sa chevelure et son dos. L’ascenseur continue sa course vers le rez-de-chaussée. C’est raté pour voir ses nichons ! crie un vieux. Au moins, on aura vu son cul ! Éclat de rire collectif, suivi de quintes de toux.
Nicole n’en revient pas. B.B., ici, à Pont-l’Abbé. La fille du cinéma. La star. Yvonne frappe dans ses mains. Allez allez, messieurs, retournez dans vos chambres maintenant, s’il vous plaît. Aussitôt, la cour des miracles se disperse comme elle s’était formée : une colonne d’escargots cabossés, ragaillardis par un mirage, reprend le couloir. Yvonne et Nicole ne peuvent s’empêcher d’échanger un sourire complice en voyant s’éloigner le cortège de fesses à l’air. Prochain horizon de leur léthargie : attendre le dîner que les infirmières passeront déposer, quand les sœurs seront revenues des vêpres.
Tu te rends compte, Nicole, on va peut-être passer à la télévision ? Le lendemain, Yvonne voit revenir Bardot. Elle s’occupe d’un malade au troisième étage. Un accidenté de la route dans un sale état. D’abord, ça l’amuse. Puis, de moins en moins. Les journalistes se pressent dans le hall de l’hôpital. Ils envahissent les couloirs. Les malades déambulent à la recherche de la star, qui s’enferme dans la chambre 306 avec le patient couvert de bandelettes. Un matin, sœur Marie du Bon Pasteur la trouve étendue sur la momie. Doux Jésus ! Allongée joue contre joue sur un malade en traction ! Une autre fois, Yvonne surprend B.B. en train de se servir un café dans leur salle de pause. Faut pas se gêner. Tout bien réfléchi, Yvonne la préfère en photo dans les magazines. »
Extraits
« C’est impossible pour moi d’appeler ma mère. Lui demander comment elle va, s’il fait beau à Nantes et enchainer en lui demandant si elle ne me parlerait pas du 4 janvier 76. Comment combler quarante-cinq ans de silence dru ? Quarante-cinq ans d’impossibilité à dire. Le trauma passé de génération en génération, sans se formuler. La douleur ne tient pas dans les mots, alors on la fond dans une ouate sourde. Sans volonté de cacher. Simplement on ne dit rien. On n’en parle pas. Même s’il n’y a rien à occulter. On juge qu’il n’y a rien à en dire. On ne juge même pas. On fait sans doute comme on peut. Comme on ne peut pas. » p. 51
« Des souvenirs, d’après photos. Des souvenirs, extirpés des silences. Imaginés, forcément. Fabriqués. Pleins de trous. Vides. Impossible de trouver un sens à cette perte, à cette histoire de deuil et de douleur. Une immense pluie de chagrin a éclaboussé toute la famille. Pas de sens. C’est un fait. On parle de destin. On se forge un chemin dans le noir, avec les béquilles les mieux ajustées. Mais le sens de nos vies à nous, les enfants de Sylvie, est aimanté par ce pôle manquant.
Comment en serait-il autrement ? Et le silence gardé autour du drame ne fait que renforcer cette attraction invisible. » p. 191
« Au fil de l’enquête, j’avais pu me rendre compte à quel point ma vie était magnétisée par ce pôle dérobé. Je vivais en Bretagne, avec un marin. J’avais rencontré au hasard de ma vie des gens qui travaillaient à l’hôpital de Pont-l’Abbé à la même époque qu’Yvonne. J’avais vécu dans une famille où le silence avait régné si longtemps, et lorsque je présentais mon métier, je disais le plus souvent: je fais du son. Je fais du son comme d’autres font de la musique. » p. 219
À propos de l’autrice
Sophie Berger © Photo Francesca Mantovani
Sophie Berger vit dans l’ouest de la France. Elle est réalisatrice son. Banc de brume est son premier roman. (Source : Éditions Gallimard)
Site internet de l’autrice
Page Facebook de l’autrice
Compte Instagram de l’autrice
Compte LinkedIn de l’autrice
Tags
#bancdebrume #SophieBerger #editionsgallimard #hcdahlem #premierroman #68premieresfois #RentréeLittéraire2024 #litteraturefrancaise #litteraturecontemporaine #lundiLecture #LundiBlogs #roman #livre #primoroman #lecture #blogueurlitteraire #books #blog #parlerdeslivres #littérature #bloglitteraire #lecture #jaimelire #lecturedumoment #lire #bouquin #bouquiner #livreaddict #lectrice #lecteurs #livresque #lectureaddict #litterature #instalivre #livrestagram #unLivreunePage #writer #reading #bookoftheday #instabook #litterature #bookstagram #bookstagramfrance #lecturedumoment #bibliophile #avislecture #chroniqueenligne #chroniquelitteraire #jaimelire #lecturedumoment #book #bookobsessed #bookshelf #booklover #bookaddict #reading #bibliophile #bookstagrammer #bookblogger #readersofinstagram #bookcommunity #reader #bloglitteraire #aupouvoirdesmots #enlibrairie #librairie #livrelover