En deux mots
Valentina, femme médecin, chevauche dans le froid de la Patagonie. À des milliers de kilomètres, Luis enterre sa mère et découvre chez le notaire la trace d’un père chilien. Il décide d’en savoir davantage et s’envole vers Santiago. Au bout de sa quête, il va trouver Valentina.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique
A la recherche de ses racines chiliennes
Après « Cordillera » Delphine Grouès nous entraîne à nouveau au Chili, en Patagonie, où Luis cherche ses racines paternelles. L’occasion d’explorer aussi l’Histoire et à la géographie dans un roman d’une grande richesse. N’hésitez pas à la suivre au bout du monde !
Avec ce roman Delphine Grouès confirme les espoirs portés par Cordillera, son premier roman, si l’on met à part Carmen et Teo, paru en 2020 et coécrit avec Olivier Duhamel.
Nous y faisons d’abord la connaissance de Valentina au moment où elle chevauche en Patagonie. Une sortie qui s’apparente à un exercice de survie pour cette femme médecin « au bout du monde, là où les courants des océans s’affrontent, où les glaciers torpillent les roches, où les arbres miraculés naissent suppliciés, où les mers vomissent des épaves, où rien ne pousse, rien ne perdure, où le vent coupe les souffles, où l’on ne se retrouve que pour mieux se perdre. »
Puis on se retrouve à des milliers de kilomètres de là, au Havre. C’est là que Luis entre en scène. Nous sommes le 7 juin 1998, en pleine Coupe du monde de football, mais pour le jeune homme ce jour n’a rien de festif. Il enterre sa mère, réfugiée chilienne et se sent orphelin, lui qui n’a jamais connu son père. Mais chez le notaire, il en apprend davantage. À côté d’un nom, ces deux mots « Dénoncé. Disparu. » Alors vient l’envie d’en savoir davantage, de se rendre à Santiago où sont désormais les archives des exactions commises sous la junte militaire sont accessibles.
Valentina a, quant à elle, pris la direction de Punta Arenas. Dans la région, elle va mettre son savoir de médecin au service d’une population autochtone qui affronte tout à la fois le rude climat et les fantômes de l’Histoire, survivante de massacres à grande échelle commis par les colonisateurs. En faisant la connaissance de Tcefayek, Valentina entrait dans cette histoire.
« Elle était l’une des dernières survivantes d’un peuple séculaire décimé en une poignée de décennies. Parler d’elle était parler de tous, flamme vouée à s’éteindre, soufflée par la sempiternelle sauvagerie humaine. »
À Santiago, Luis est confronté pour sa part à une Histoire plus récente, mais tout aussi horrible. L’employé du service des archives va mettre la main sur le dossier de son père, résumé en quelques mots : « 22 ans. Enseignant. Marié. Sympathisant de l’Unité populaire, sans militance politique. Arrêté à Punta Arenas le 13 octobre 1973 à deux heures du matin, rue Bellavista, par les forces militaires, et conduit à l’infanterie de marine n° 4. Il reste disparu depuis cette date. Selon un cousin présent lors de l’arrestation, il aurait été dénoncé. » Pour en savoir davantage, il lui faudra prendre la direction de Punta Arenas où les faits se sont déroulés et où vivent famille et témoins.
Aidé par un cousin, il va remonter dans son arbre généalogique, d’abord du côté paternel, puis maternel. Et au bout de sa route l’attend Valentina.
Si ce roman est captivant, c’est qu’il nous offre trois niveaux de lecture, aussi intéressants les uns que les autres. Il y a d’abord cette quête des racines, ce besoin pour un fils qui a perdu sa mère sans qu’elle lui livre ses secrets et qui n’a jamais connu son père, de pouvoir enfin découvrir sa généalogie.
Ce faisant, il permet à la romancière d’inscrire ses recherches dans l’Histoire, de la colonisation à nos jours. Des peu glorieux massacres des populations autochtones aux exactions de la junte militaire de Pinochet, après l’espoir suscité par Salvador Allende. En suivant Valentina et Luis, on comprend combien la population reste marquée, bien des années plus tard, par ces faits.
Enfin, il y a la découverte d’un territoire. La Patagonie et son climat extrême. La Patagonie elle aussi menacée par le dérèglement climatique. La Patagonie dans toute sa puissance et sa beauté, que Delphine Grouès aime arpenter et où elle retourne régulièrement, comme elle me l’a confié lors de notre rencontre en décembre décembre avec les « 68 premières fois ». Dans ses bagages, je l’imagine avec un recueil de poésie de Gabriela Mistral, et poétesse chilienne couronnée par le prix Nobel de littérature en 1945. Elle pourra alors lire ces vers dans Paysage de Patagonie :
« Trois arbres tombés sont restés au bord du sentier.
Oubliés du bûcheron, ils s’entretiennent,
fraternellement serrés, comme trois aveugles.
Je recueillerai dans mon cœur
leurs douces résines, elles me tiendront lieu de feu.
Muets, pressés les uns contre les autres,
que le jour nous trouve monceau de deuil. »
Les braises de Patagonie
Delphine Grouès
Le Cherche-Midi Éditeur
Roman
256 p., 20,90 €
EAN 9782749181806
Paru le 9/01/2025
Où ?
Le roman est situé en Patagonie, notamment dans la région de Punta Arenas. On y évoque aussi le Havre et Santiago du Chili.
Quand ?
L’action se déroule en 1998 avec des retours en arrière à l’époque de la colonisation puis sous la dictature de Pinochet.
Ce qu’en dit l’éditeur
Au cœur de la Patagonie, les destins croisés d’une femme médecin chilienne dans les années 1950 et d’un jeune Français en 1998. L’une brave le monde sauvage, les oppositions politiques, l’anéantissement des peuples premiers, l’autre part en quête de ses racines. L’histoire de deux âmes fortes éprises de liberté dans des contrées de l’extrême.
» Valentina était au bout du monde, là où les courants des océans s’affrontent, où les glaciers torpillent les roches… «
En Patagonie, Terre de Feu où la nature se déchire, s’entrelacent deux destins. D’un côté, celui de Valentina Silva, l’une des premières femmes médecin dans le Chili des années 1950, appelée à soigner les travailleurs des estancias alors que la répression politique gronde. De l’autre, celui de Luis Echerrin, un jeune Havrais, fils d’un disparu de la dictature de Pinochet et d’une exilée, qui part en 1998 à la recherche de ses racines, dans l’espoir de déchiffrer les silences de sa mère.
Valentina se confronte aux obstacles jalonnant la route d’une femme indépendante et aux méandres d’un amour naissant pour un inconnu. Luis s’initie à la culture des gauchos en retraçant peu à peu l’histoire de ses parents, avant de se découvrir lui-même.
Les glaciers de la Cordillère, les fjords et la pampa tantôt les perdent, tantôt les guident, tout en témoignant de l’anéantissement d’un peuple premier, les Kawésqars, dont la mystérieuse Tcefayek est l’une des dernières survivantes, et cet anéantissement préfigure un autre massacre, irrémédiable, celui de l’environnement.
Unies dans un même élan, les vies de Luis et Valentina composent une ode à la liberté dans une nature aussi sublime qu’impitoyable.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Actualitté
Delphine Grouès présente « Les braises de Patagonie » © Production Librairie Mollat
Les premières pages du livre
« Chapitre 1
Et le vent sifflait, la fauchait dans les trombes. Il avait surgi en lame furibonde. La pluie avait lancé son filet et affûtait ses armes. La Patagonie convulsait.
Et pourtant, Valentina avançait. Elle se débattait. Ne pas se rendre. Elle sombrait, fracassée contre les récifs d’un ciel englouti.
Une épaule, puis l’autre, perçaient le givre. Valentina n’entendait pas les sabots, elle n’entendait plus. Le vent, plus que le vent. Le poulain, lui, fendait le nuage. Saurait-il rentrer à l’estancia ? Ce cheval à peine débourré était la seule monture que Valentina avait pu dérober à la vigilance des baqueanos, les gardiens de bétail patagons. Elle lui avait passé un simple mors et l’avait enfourché sans selle, comme son grand-père le lui avait appris. Ils avaient détalé au galop pour rejoindre la chaîne montagneuse des Baguales, havre des chevaux sauvages dont lui avait souvent parlé son oncle, qui avait lui-même entendu ces légendes de son grand-oncle, il y a si longtemps.
Le temps, le vent en effaçait les frontières. Il n’avait plus de sens dans la déferlante. Le vent hurlait de plus belle, plus fort, encore plus fort, il pulvérisait cap et illusions.
Valentina ôta ses gants, la laine lui lacérait les doigts. Le cheval se tourna contre la tornade, s’immobilisa. Aucune crinière où abriter ses mains. Il était tondu comme un poulain ; seuls quelques crins s’affolaient sur le garrot. Bientôt la jeune femme s’abîmerait dans un état second – un état de folie, disaient ceux qui craignaient la mort.
Mourir importait peu. Mais donner raison aux contempteurs la révoltait. « La pampa, Doctora ? Vous n’y pensez pas ! Ce n’est pas une petite promenade pour les femmes ! » 1950 et on en était encore là. Affligeant. Sursaut de liberté, elle s’était échappée. S’ils avaient su comme elle connaissait la Cordillère, elle, l’héritière du clan Silva, les complices des vertes vallées du centre du Chili.
La nature avait toujours été son refuge – le comble. Aujourd’hui, la Patagonie lui infligeait un châtiment d’une violence qu’elle n’avait jamais imaginée.
Aujourd’hui elle était au bout du monde, là où les courants des océans s’affrontent, où les glaciers torpillent les roches, où les arbres miraculés naissent suppliciés, où les mers vomissent des épaves, où rien ne pousse, rien ne perdure, où le vent coupe les souffles, où l’on ne se retrouve que pour mieux se perdre.
Bout de son monde. Le délire n’est pas loin. Salves de l’esprit. Où sont partis les oiseaux ?
Vent qui parle un dialecte qu’elle ne saisit pas. La fin est proche. Ne pas se rendre.
Les grêlons et leur canonnade. Écorchée vive par une houle de glace mitraillant tous azimuts. Elle ferme les yeux. Non, il ne faut pas. La phalange de son index. Noire. Et la rive violacée progresse, deuxième phalange, n’en reste plus qu’une. Perdra-t-elle des doigts ? Quand son père, typographe, apprendra cela… Sa grand-mère, Esprit parmi les esprits mapuches, doit, elle, sentir déjà ce qui se trame, elle comprendra. Tant pis si les autres pensent que la Patagonie a eu raison d’elle. Abuela, elle, saura.
Gémissements. La chienne ? Ou le vent ? Où est la chienne ? Enfuie ? Non, la fourrure claque.
Descendre de cheval, le laisser partir, qu’il se sauve. Jamais descendre de cheval, premiers rudiments. Mais aujourd’hui tout est différent. Elle met pied à terre – étrange expression quand le sol s’est effacé –, elle ne sent plus son corps, mauvais signe mais tant mieux, trop mal. Le sang gelé lacère les veines. Pouls au diapason de la marche funèbre.
Se replier contre une pierre échouée au milieu de nulle part. La chienne se pelotonne dans les bras, museau contre cou, le cheval est encore là, les jambes dressées contre les siennes. Un pas et il l’écrase. Si on les retrouve un jour, ce sera, étrange image, un amas canin-équin-femme en pantalon d’homme. Peut-être que la roche les aura pétrifiés ? Des enfants s’amuseront à deviner des formes humaines dans ce débris de lave abandonnée. Comme Valentina en a si souvent imaginé en contemplant les nuages de chez elle. Les nuages de l’imaginaire qui l’emportaient si loin, comme celui qui la happe aujourd’hui. Il la déposera peut-être. Ailleurs.
Et la voix du conte s’élève, s’enroule autour des entraves, murmure les mots de l’enfance, les récits immémoriaux, le chêne du village natal étire sa branche vers elle, la recueille, Valentina se blottit entre les feuilles, la voix du conte l’emmaillote, chuchote une fable.
Vacillation, ultimes divagations.
Dénouer la fine amarre.
Grand-Mère saurait expliquer à Papa.
Il neige. Les flocons voilent les hululements.
S’endormir.
Battement de cœur de la terre.
Silence. »
Extraits
« Raconter son histoire était entrer dans l’histoire des peuples des confins du monde. Elle était l’une des dernières survivantes d’un peuple séculaire décimé en une poignée de décennies. Parler d’elle était parler de tous, flamme vouée à s’éteindre, soufflée par la sempiternelle sauvagerie humaine. Bernardino expliqua qu’elle était une Kawésqar, « on les appelle “Alacalufe”, mais ils se nomment entre eux “Kawésqar” », des nomades des mers voguant de fjord en fjord sur des canoës de bois de coigüe, plongeant dans les eaux glacées pour cueillir les coquillages, ne rejoignant les rives patagonnes que pour dormir sous des abris de feuillages et de peaux de phoque, ou pour festoyer autour d’une baleine échouée sur la plage. » p. 35
« Le nom de son père était imprimé en haut, en gras, suivi de quelques lignes. Puis on passait à un autre nom et encore à un autre. Mais il était là, et Luis ne disait rien. Il lisait et relisait ce nom, il pensait à sa mère.
La dame ne présenta pas ses condoléances, ne dit pas « Je suis désolée », elle serra l’épaule de Luis. Il tourna les yeux vers elle. Elle prononça lentement ce nom qui était aussi celui de Luis et lut les phrases qui suivaient : 22 ans. Enseignant. Marié. Sympathisant de l’Unité populaire, sans militance politique. Arrêté à Punta Arenas le 13 octobre 1973 à deux heures du matin, rue Bellavista, par les forces militaires, et conduit à l’infanterie de marine n° 4. Il reste disparu depuis cette date. Selon un cousin présent lors de l’arrestation, il aurait été dénoncé. » p. 79
À propos de l’autrice
Delphine Grouès © Photo Didier PazeryDelphine Grouès est, à Sciences Po Paris, directrice de la Maison des arts et de la création et directrice de l’Institut des compétences et de l’innovation. Après le chaleureux accueil, public et critique, de son roman Cordillera et l’obtention de prix littéraires, elle signe ici un deuxième opus envoûtant, porté par une plume étincelante. (Source : Le Cherche-Midi Éditeur)
Compte Instagram de l’autrice
Compte LinkedIn de l’autrice
Tags
#lesbraisesdepatagonie #DelphineGroues #cherchemidiediteur #hcdahlem #roman #RentréeLittéraire2025 #litteraturefrancaise #litteraturecontemporaine #andes #chroniquelitteraire #nature #instavoyage #ameriquelatine #patagonie #terredefeu #coupdecoeur #secondroman #68premieresfois #NetGalleyFrance #lundiLecture #LundiBlogs #booktok #RentreeLitteraire25 #rentreelitteraire #rentree2025 #RL2025 #lecture2025 #livre #lecture #blogueurlitteraire #books #blog #parlerdeslivres #littérature #bloglitteraire #lecture #jaimelire #lecturedumoment #lire #bouquin #bouquiner #livreaddict #lectrice #lecteurs #livresque #lectureaddict #litterature #instalivre #livrestagram #unLivreunePage #writer #reading #bookoftheday #instabook #litterature #bookstagram #bookstagramfrance #lecturedumoment #bibliophile #avislecture #chroniqueenligne #chroniquelitteraire #jaimelire #lecturedumoment #book #bookobsessed #bookshelf #booklover #bookaddict #reading #bibliophile #bookstagrammer #bookblogger #readersofinstagram #bookcommunity #reader #bloglitteraire #aupouvoirdesmots #enlibrairie #librairie #livrelover