Ces hommes parmi nous – Soigner les auteurs de violences sexuelles. Gabrielle Arena, Caroline Legendre, Gaëlle Saint-Jalmes.

Par Lison Carpentier @loeilnoir1
Ces hommes parmi nous - Soigner les auteurs de violences sexuelles. Gabrielle Arena, Caroline Legendre, Gaëlle Saint-Jalmes. Editions du Détour - Octobre 2023.

Je remercie tout d'abord les Editions du Détour ainsi que Babélio pour l'envoi de cet essai de psychologie. Eveil collectif et prise de consience d'une réalité jusque là reniée, le constat de la Ciivise est accablant : 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année, 5,4 millions de femmes et d'hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance, l'impunité des agresseurs et l'absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d'euros chaque année en dépenses publiques. Je n'aime pas les chiffres mais ceux-là me bouleversent. " L'enfant est l'avenir de l'homme " ( Maria Montessori), rappelons-le.

Les représentations sociales bougent : la place de la femme, celle des enfants évoluent, les dénonciations d'abus sexuels éclatent de façon exponentielle. Nous sommes tous concernés par ce sujet. Il est temps de comprendre que loin des clichés auxquels ils sont assimilés, les agresseurs sexuels ne sont pas des monstres mais des personnes comme tout le monde. Le plus souvent ils connaissent leurs victimes. Quand on y pense, cela fait froid dans le dos, bien plus que les très médiatiques Dutroux, Fourniret ou Scala. Ce sont eux que rencontrent quotidiennement les autrices de cet essai, Gabrielle Arena, Caroline Legendre et Gaëlle Saint-Jalmes. Psychiatres et psychologues cliniciennes spécialisées dans le domaine des violences sexuelles, elles tentent de soigner ces hommes dans le but d'empêcher la récidive.

Mêlant réflexions théoriques et exemples concrets, ce livre développe une réflexion approfondie sur le sujet. Dans un premier temps, les rappels historiques du contexte sociétal permettent de comprendre l'évolution des moeurs, les lois mises en place pour contrer les faits d'agressions sexuelles, les faits divers ayant fait évoluer les dispositifs législatifs et la perception de la société sur les violences sexuelles. On relève rapidement dans la démarche des trois autrices l'importance de l'héritage de Claude Balier, psychiatre dont le travail dans les années 90 établit la nécessité de rencontres thérapeutiques pour espérer soigner les auteurs de violences sexuelles. En 98, la loi Guigou instaure la mise en place d'un SSJ (suivi-socio judiciaire) qui implique des mesures de surveillance et d'assistance avec un certain nombre d'impératifs professionnels et relationnels (comme l'interdiction de fréquenter des personnes mineures) et injonction de soins sur expertise médicale. Cela suppose que les auteurs de violences sexuelles sont potentiellement curables et que la réitération de leurs actes peut être évitée.

Pour cela, il faut sortir de la sidération, établir une communication avec ces hommes pour tenter de comprendre, d'analyser et de prévenir leurs comportements déviants. Ce sera le sujet du second chapitre abordant le travail thérapeutique en prison. Il faut plutôt privilégier un accompagnement dans la réflexion sur les actes commis, sur le passé de l'agresseur, ses attitudes, ses choix de vie. Cela suppose des difficultés car ces personnes considérent souvent comme être dans l'obligation de se soigner mais s'y refusent et parfois des soignants débordés par leur quotidien et qui n'ont pas toujours les compétences dans ce domaine. Le but des thérapeutes est Identifier les situations qui ont incité l'agresseur au passage à l'acte, tout en évaluant sa dangerosité. Les prises en charge thérapeutiques sont aujourd'hui associées à des traitements médicamenteux. Les moyens radicaux ont été écartés, tels que la castration physique car inefficace puisque les pulsions sexuelles restent présentes. Aujourd'hui des traitements hormonaux sont utilisés pour diminuer le taux de testostérone, administrés avec le consentement de l'auteur de l'agression sexuelle.

A chaque cas passionnant évoqué dans cet essai correspond une méthode thérapeutique de longue haleine: l'art-thérapie, la justice restaurative (rencontres auxquelles participent en face à face des groupes d'agresseurs et des groupes de victimes), la ligne de vie et la chaine délictuelle, la photo-thérapie. La rencontre thérapeutique a pour but que le sujet puisse s'intéresser à son histoire et à son monde interne, et l'aider à mettre des mots sur ses ressentis, avant, pendant et après les agressions. Différents acteurs interviennent, collaborent ensemble dans le domaine de la santé, du social et de la justice, ils interagissent pour élaborer des programmes de soins, des projets professionnels et des solutions d'hébergement et le suivi post-carcéral.

Dans les exemples proposés par les autrices, il est impressionnant de voir que beaucoup d'auteurs de violences sexuelles ont en commun le fait d'avoir eux-même connus la maltraitance et les violences sexuelles durant l'enfance. Certains passages sont éprouvants mais nécessaires à la compréhension des mécanismes mis en cause dans les actes délictueux. Dans la thérapie, il existe un parallèle entre agresseur et victime: le fait de prendre conscience des faits traumatisants et de les exprimer verbalement ou artistiquement permet pour les uns le repentir et pour les autres la résilience. Bien évidemment, il y a des cas de récidives, (m'est venue à l'esprit l'affaire Enis), qui interrogent sur l'efficacité des sanctions imposées et sur le suivi socio-judiciaire. Toutes les mesures énoncées sont-elle réellement applicables et surtout appliquées, est-ce réaliste ? Tout cela dépend de l'importance que le gouvernement accorde à cette cause.

Mon point de vue sur le sujet s'est développé grâce à cette lecture passionnante, qui complète parfaitement d'autres ouvrages sur le sujet des violences faites aux femmes et aux enfants. Il pourrait en effet s'inscrire dans un cycle de lectures: on commence par lire La Familia Grande de Camille Kouchner, on enchaine sur Triste Tigre de Neige Sinno par exemple (car il y a tant de témoignages sur le sujet), puis on s'intéresse au rapport de la Ciivise (qui n'a rien de rébarbatif et se lie très facilement) et aux travaux de la psychiatre Muriel Salmona pour comprendre les conséquences des traumatismes issus de violences sexuelles. Le sujet est un puits sans fond. Les violences prennent racine dans l'enfance soit parce qu'on les subit, soit parce qu'on y assiste impuissant et la tendance à les reproduire est tenace. Il y a une nécessité de prévention et d'éducation dans ce domaine, la nécessité d'un suivi psychologique pour chaque enfant à chaque strate de la scolarité de façon à aider les victimes tout comme les potentiels agresseurs, et poursuivre de même à l'âge adulte de façon à enrayer le mécanisme du silence. Donner l'opportunité de parler. L'importance du suivi psychologique dès le plus jeune âge me semble primordial pour limiter les cas de violences en tout genre.

Les autrices accomplissent au quotidien un travail essentiel, avec volonté et bienveillance, dans le but " d'éviter de réduire les personnes à leurs actes" , de prévenir les violences et de protéger les femmes et les enfants. Ce livre est nécessaire. Pour reprendre l'expression qu'adressent à leurs patients les autrices en remerciement final, ce livre permet " d'aller au-delà des apparences et des a priori " . Il est empreint d'humanisme et de positivisme.