Transit

Par Lecteur34000

" Transit "

SEGHERS Anna

Une grande dame. Une très grande dame. Anna Seghers. Allemande. Femme de lettre. Contrainte de fuir l'Allemagne nazie dès l'accession d'Hitler au pouvoir. Auteure d'une œuvre remarquable. Sous-estimée, voire même ignorée par les faiseurs de cette opinion imbécile qui ne tolère rien de ce qui prétendit changer le monde. Anna Seghers fut communiste. L'exilée (en France puis au Mexique) mena un combat sans relâche contre la bête immonde. Sans jamais se renier. Avant de rejoindre l'Allemagne, celle de l'Est, au lendemain de la victoire des Alliés.

Transit est " le " roman de l'exil. Le vieux Lecteur l'avait découvert lors de sa première publication en France, voilà bientôt quarante ans. Il l'a repris cet été parce qu'il venait de voir le film que Christian Petzold avait tiré de ce roman. Non pour comparer, mais pour retrouver l'ambiance spécifique à l'œuvre littéraire. Transit est le roman indispensable pour qui veut connaître ce que fut le sort que réserva la France du vieux Maréchal aux exilés allemands, à ces femmes et ces hommes pourchassés non seulement par la Gestapo mais aussi traqués et embastillés par les sbires et les reitres au service du nouveau pouvoir. Ces femmes et ces hommes qui avaient d'abord fui l'Allemagne nazie se voient, depuis Marseille, contraints de chercher un nouveau port d'attache, donc de fuir la France. Les démarches insensées pour obtenir un visa. Le visage hideux des passeurs. Et si souvent l'indifférence des consulats des pays susceptibles de devenir pour les exilés la possible terre d'accueil. Marseille, ultime point d'un départ éventuel pour peu que l'exilé ait su frapper à la bonne porte, puis rencontrer l'interlocuteur plus ou moins compatissant. Marseille, où l'exilé craint l'irruption de la Wehrmacht.

C'est tout cela que raconte Anna Seghers dans Transit. Un roman qu'elle peuple de personnages qui survivent avec le peu des moyens dont ils disposent. Dans l'indifférence quasi généralisée des autochtones. Des rencontres improbables. Le désespoir de celle qui persévère à rechercher les traces de l'homme aimé. L'identité usurpée parce que les circonstances l'ont permis et qu'elle servira peut-être à gagner le Mexique. Le roman dit les souffrances infligées à celles et ceux qui n'avaient pas accepté de subir le nazisme. Le roman dépeint par touches successives une France laide, empuantie, immonde. Sans jamais perdre de vue ces exilés qui en sont la substance.

" Jeune homme, vous arrivez ici, presque sans bagages, seul, sans but. Vous n'avez même pas de visa. Tout d'abord vous ne vous dites pas que le préfet lui-même ne vous laissera jamais vous installer ici, puisque vous n'avez même pas de visa. Mais supposons que vous obteniez un visa. Oui. Par un heureux hasard, par vos propres forces - ce qui arrive rarement, mais qui arrive tout de même - grâce à une main amie qui, au moment où vous y comptez le moins, se tend vers vous du fond des ténèbres - je veux dire par-dessus l'océan - grâce à la providence elle-même, vous obtenez un visa. Vous voilà bien heureux pour un instant ! Mais bientôt vous vous apercevez que cela ne vous avance à rien. Vous avez un but, c'est peu. Tout le monde en a un. Vous ne pouvez pas arriver dans un pays simplement par la volonté, simplement par la stratosphère. Vous devez franchir des océans, des pays intermédiaires... "