Charlotte Milandri – Au Sol ***

Par Laure F. @LFolavril

Éditions Équateurs - août 2023 - 243 pages

*

" Je veux l'intranquille, le sombre qui se dit, la nuit qui recouvre tout. J'ai eu le courage de mes orages. "

C'est l'histoire d'une vie trop lisse. D'un quotidien qui étouffe, trop étroit, trop prévisible, trop linéaire. D'une vie sans surprise. Sans désir. C'est l'histoire de Claire, épouse, mère et avocate, qui n'élève jamais la voix, ne se fait jamais remarquer. " La petite mécanique des jours " suit sont court, inexorablement. Chaque jeudi après-midi, Claire prend le train juste pour s'extraire du quotidien, jouant avec la possibilité de ne pas rentrer. Elle s'achète un tube de peinture à chaque fois qu'elle sort du tribunal.

" Il n'y a que la colère et l'amour que l'on peut faire, le reste se subit. " Elle ne s'enflamme et ne se sent vivante que devant une toile de Pollock. Le désir qui la ravage alors, le feu qui s'allume dans son ventre... Elle n'a jamais ressenti ça. Cette toile, elle la découvre enfant. Puis tombe par hasard sur elle pendant son voyage de noce à New York. Claire la retrouve à Beaubourg, enfin. La sauvagerie s'empart d'elle. Un lien singulier et dément l'unit au peintre. Sa peinture la bouleverse, la transperce. Son obsession pour Pollock grandit à mesure que la jeune femme sombre. Et que, telle une fulgurance, la petite fille qu'elle fut - la petite fille baillonnée - la rattrape.

Au Sol est un roman absolument déroutant, empreint de sauvagerie et de folie brute. Où le corps prend toute la place, dans un double mouvement d'éveil et d'abandon. " Ça bouffe les chairs, par l'acide que ça sécrète, de vivre. "

Un roman qui écoeure et chavire, à l'écriture tranchante ; les mots de Charlotte Milandri sont comme un cri lancinant et dissonnant sur la page blanche - les murs blancs de l'hôpital. La ponctuation hache les phrases. Cette femme qui tout sa vie s'est tue, alors qu'en elle bouillonnait le désir d'intranquilité.

" Je ne veux sauver personne, ça ne se sauve pas une personne. De rien, ni de l'ennui, ni de la solitude crasse et sourde. On retarde juste l'inéluctable, on le remplit d'autres choses parce qu'on n'est pas capable de dire va te faire foutre, de faire cesser ce que l'on n'a pas demandé à être. "