Le Dôme de la méduse

Dôme méduse

En deux mots
Après avoir mis hors d’état de nuire le traître qui sévissait dans leur vaisseau, les rescapés de l’Orca s’apprêtent à rentrer au bercail. Dans leurs bagages, ils ont des enregistrements à décrypter. Et peut-être la preuve d’une existence extra-terrestre. La tension est à son comble.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Le message de l’au-delà

Quel plaisir de retrouver Pierre Raufast au meilleur de sa forme pour clôturer sa trilogie baryonique. Dans cet ultime volet, l’équipage de l’Orca s’apprête à rentrer sur terre avec quelques révélations sensationnelles dans ses bagages. Mais aussi quelques trous noirs… Passionnant!

C’est par une scène choc que s’ouvre le troisième tome de La trilogie baryonique, un incendie volontaire fomenté par les rescapés de l’expédition envoyée dans le système de la Tortue et son mystérieux Dôme de la méduse. C’est que l’équipage a compris que le traître parmi eux était une machine censée les soutenir dans leur mission. Alors, après quelques conciliabules, ils ont réussi à la mettre hors d’état de nuire. L’hypothèse la plus plausible, mais qui reste à vérifier, étant un sabotage fomenté par les Bernanos. Désormais, ils vont pouvoir se consacrer plus sereinement à leur mission, c’est-à-dire à l’étude des informations recueillies autour du Dôme. Ajoutons d’emblée qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu les deux tomes précédents – même si je vous le conseille fortement – pour goûter à ce roman. L’ouvrage commence par un résumé ainsi qu’une liste des personnages (voir ci-dessous «Les premières pages»). Mais revenons à notre équipage.
Si pour l’opinion générale cette expédition s’est soldée par un échec avec des pertes humaines et une antimatière qui reste hypothétique, dans le vaisseau tout le monde s’affaire à décrypter ce qui pourrait être le premier message extraterrestre et par là-même bouleverser l’état des connaissances et l’histoire de l’humanité. Sauf qu’il n’est pas aisé de déchiffrer des séries de rayons et leur fréquence. Autour de Sara, sa fille Mia, et Slow, c’est surtout aux connaissances de Mirror Tale, la Xénolinguiste et experte en télécommunications, que des avancées notables vont pouvoir être enregistrées.
Durant leur voyage retour, on s’affaire aussi sur terre, à la fois pour tenter de comprendre ce qui s’est passé dans le système de la tortue, quels éléments de langage devront accompagner le bilan de l’expédition et quelles suites il faudra lui donner aux programmes de recherche. Pour Kamal Narkami, le Président de l’EPON, il s’agit notamment de surveiller les Bernanos, mais aussi le pouvoir de l’Agence de recherche de l’antimatière et de contrôler les recherches sur l’intelligence artificielle.
Bref, tout le monde s’agite. Et pas forcément pour de bonnes raisons, même en 2177.
Dans cet ultime tome de sa trilogie, Pierre Raufast poursuit quant à lui sa tâche de vulgarisateur scientifique, de décrypteur de concepts et de lanceur d’alerte. Nourri d’une riche bibliographie que l’on trouvera en fin de volume, il se penche tout à la fois sur la création de l’univers, sur l’interaction homme-machine, l’intelligence artificielle ou encore la – forte – probabilité que nous ne soyons pas les seules formes de vie dans ce monde loin d’être fini.
Avec sa plume qui court allègrement, il n’a aucun mal à entraîner le lecteur dans ses réflexions, en ajoutant du suspense, des rebondissements et quelques belles découvertes à son récit. Après Asimov, voilà sans doute l’une des séries de SF les plus réussies, car les perspectives que nous offre Pierre Raufast sont tout simplement vertigineuses!

Le Dôme de la méduse
Trilogie baryonique tome 3
Pierre Raufast
Éditions Aux Forges de Vulcain
Roman
336 p., 21 €
EAN 9782373056877
Paru le 26/03/2024

Où?
Le roman est situé quelque part dans l’univers, avant un retour sur terre.

Quand?
L’action se déroule de 2176 à 2179.

Ce qu’en dit l’éditeur
L’équipage du vaisseau M-Orca est dans le système de la Tortue depuis plusieurs mois. Le groupe de scientifiques doit continuer ses recherches malgré des difficultés techniques et des désaccords. Toutes les pistes pointent vers une forme de civilisation dont le développement est étroitement lié à l’antimatière. Mais comment explorer cette nouvelle planète avec un traître parmi leurs rangs ? Sara et Slow doivent décrypter les mystères qui se cachent dans sur Tortue-B, mais la méfiance et les complots sont les huitièmes passagers dans cette aventure interplanétaire.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com

Les premières pages du livre
« RÉSUMÉ DU TOME 1
La Tragédie de l’Orque
En 2173, voilà un siècle que la civilisation a trouvé un certain équilibre depuis la Grande Migration climatique qui a décimé la moitié de la population et déplacé l’autre.
Depuis l’avènement de la fusion nucléaire, énergie propre et salvatrice pour le climat, la recherche scientifique a été mise en sourdine en grande partie grâce ou à cause des « plafonds de Tao » : un théorème qui démontre les limites du progrès technologique, et en particulier celui de l’intelligence des robots. Ceux-ci se déclinent en deux grandes familles : les Experts artificiels pour les tâches professionnelles et les Sofia, sortes de nounou pour enfants.
Désormais, l’EPON (Energy Pact Of Nation) et sa gouvernance unifiée décident des grandes orientations stratégiques du monde par l’intermédiaire de son président Kamal Narkami.
Dans ce contexte, l’Agence de recherche de l’antimatière et l’Institut de stratigraphie se partagent les rôles dans l’importante quête de l’antimatière dans l’univers. L’antimatière est la clef de la miniaturisation des Experts artificiels, l’unique façon de progresser encore malgré les plafonds de Tao. Kirsten Golovine, à la tête de l’Agence, et Timothée Galibert, à celle de l’Institut, se livrent une guerre de pouvoir sans merci, dans laquelle TT-Bot et Goru Inc., les deux fabricants de robots et vaisseaux spatiaux, ont aussi leur mot à dire.
La commandante Sara McTeslin et Slow Resende sont deux mineuses d’espace-temps embarquées dans leur Orca-7131, ces vaisseaux sphériques conçus pour naviguer de strate en strate à la recherche d’antimatière. Après une avarie, elles se retrouvent coincées dans un pli reculé de l’univers baptisé le système de la Tortue. Là, elles détectent par hasard une planète étonnamment prometteuse : Tortue-B.
Sur Terre, Ness, la femme de Sara, et Mia, leur fille, sont sans nouvelles de l’équipage et se morfondent. Heureusement, Maximilien, père de Sara et directeur honoraire de l’Agence, fait de son mieux pour aider la mission depuis le centre de commandement.
Mais cela ne suffit pas à calmer Mia, l’adolescente prise entre ses problèmes de cœur avec Diego, son petit ami suspecté de se radicaliser auprès des Bernanos, une secte anti-progrès, et l’absence récurrente de Sara, sa mère exploratrice.
Après quelques hésitations, l’Orca-7013, un autre module piloté par Youri Vassili Sotnikov et Tom Papadacci, détourne sa route pour leur porter assistance. L’occasion pour Slow, jeune mathématicienne au passé mystérieux, et Tom, jeune lieutenant, de collaborer pour trouver une solution à cette panne. Après des rebondissements épiques, tous les quatre arrivent enfin à retrouver le chemin de la Terre. Ils empruntent pour cela des trous de ver artificiellement créés par les Orcas qui leur permettent de naviguer de strate en strate.
Sitôt dans le Système solaire, ils envoient sur Terre les signaux captés dans le système de la Tortue. Le résultat est formel : non seulement Tortue-B est susceptible d’abriter de la vie, mais en plus, un dôme mystérieux semble contenir une grosse quantité d’antimatière. Combien? Comment? Pourquoi? Un grand nombre de questions subsistent et mériteront une nouvelle expédition.
Quand il apprend cette nouvelle, Kamal, le président de l’EPON, ne semble pas partager l’enthousiasme collectif. Il annonce qu’il veut rencontrer Slow dès son retour sur Terre. Informée et visiblement terrifiée, celle-ci s’effondre, victime d’un malaise cardiaque.

RÉSUMÉ DU TOME 2
Le Système de la Tortue
Adolescente, Slow Resende s’est acharnée pendant des mois à comprendre le théorème des plafonds de Tao, jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive d’une erreur dans la démonstration du mathématicien. Effarée par cette découverte qui ébranle les fondements de la société post-Grande Migration, elle s’est confiée à son père. Quelques semaines plus tard, elle a été convoquée par Kamal Narkami, le président de l’EPON, qui l’a violentée et lui a ordonné de n’en parler à personne. Pour l’éloigner de la Terre et des mathématiques, il l’a obligée à suivre une carrière de mineuse d’espace-temps.
Voilà pourquoi, dix ans après, Slow fait un malaise dans l’Orca-7031 quand Kamal Narkami lui ordonne de rentrer plus rapidement sur Terre. Heureusement, Slow se remet, mais choisit de rester sur le vaisseau. Ce sont Sara et Tom qui utiliseront les deux S-Orcas pour revenir plus rapidement sur Terre.
Pendant ce temps, les scientifiques ont eu le temps d’analyser les données de Tortue-B, la planète découverte. Ils s’interrogent sur l’origine et la fonction de cet étrange dôme contenant de l’antimatière. Les hypothèses foisonnent, y compris dans les médias. Seule une mission d’observation permettra d’en savoir davantage et les préparatifs commencent. La composition de l’équipage donne lieu à des négociations houleuses entre l’EPON et TT-Bot. Sara est finalement choisie comme commandante, tandis que Tom est écarté au profit d’un commandant en second salarié de TT-Bot. Les douze autres scientifiques de l’expédition sont sélectionnés, dont une botaniste, une géologue, un bactériologiste, une zoologiste, une chimiste, etc.
Quand Sara rentre enfin sur Terre, sa femme Ness est ravie. Malheureusement, la joie sera de courte durée. Grâce aux renseignements fournis par Diego, l’ex-petit ami de Mia, au groupe terroriste des Bernanos, un attentat vise Sara, mais c’est Ness qui meurt.
Plus que jamais hostiles au progrès, les Bernanos, par la voix de leur leader Gareth Anderson, revendiquent avec fierté cet attentat, et ceux à venir.
Écœurée, Sara décide de repartir pour le système de la Tortue en embarquant illégalement sa fille Mia. Tom, qui reste en support depuis le centre de commandement, l’aide dans cette opération clandestine en substituant la jeune fille au commandant en second nommé par TT-Bot.
Une fois parti, le M-Orca dévie sa route pour récupérer Slow, puis file vers le front de taille sans encombre. Mia, désœuvrée parmi cet aréopage de scientifiques, en profite pour apprendre le métier de zoologiste.
Dès qu’ils arrivent dans le système de la Tortue, des sabotages incompréhensibles surviennent. Ils se solderont par la perte de deux équipiers, dont Hikaru, le mentor de Slow. Hélas, le coupable n’est pas identifié. L’équipage entame l’exploration de Tortue-B et découvre une faune étonnante, ainsi que le dôme d’antimatière, qui émet un mystérieux signal laser. Mirror, la xénolinguiste, enregistre le signal quand un dernier sabotage tue quatre autres équipiers dans le crash d’un vaisseau.
Slow, un temps suspectée, est alors innocentée : le saboteur semble être l’Expert du M-Orca ! Ce dernier aurait-il découvert l’inexistence des plafonds de Tao ? Est-on à la veille d’une révolution des robots ? L’équipage réagira-t-il à temps avant que la folie meurtrière de ce Masterbot ne les tue tous ?

Rappel des principaux personnages
À bord du M-Orca
Sara McTeslin : Commandante de l’expédition et mère de Mia
Slow Resende : Commandante en second
Mia McTeslin : Fille de Sara et apprentie zoologiste
Arina Marquet : Ingénieure systémique (décédée)
Åsa Ruud : Chimiste (décédée)
Brock Rockson : Militaire
Caleb Antoun : Militaire
Eerika Tadolini : Physicienne (décédée)
Helmut Feinberg : Médecin (décédé)
Hikaru Hyodo : Zoologiste et mentor de Mia (décédé)
Leonhard Olmov : Cuisinier
Malika Nakache : Géologue
Ming Shan : Bactériologiste (décédé)
Mirror Tale : Xénolinguiste et experte en télécommunications
Roxane Hyrcanie : Botaniste

Sur Terre
Kamal Narkami : Président de l’EPON
Kirsten Golovine : Directrice de l’Agence de recherche de l’antimatière (ARA)
Diego : Ex-petit ami de Mia et ancien membre des Bernanos
Dorotea Rönnberg : Responsable de communication de l’ARA
Gareth Anderson : Leader des Bernanos
Joyce Upring : Superviseuse mission à l’ARA
Maximilien McTeslin : Père de Sara et ancien directeur honoraire de l’ARA
Ness McTeslin : Femme de Sara (décédée)
Sakari : Responsable des activités illégales de minage
Tom Papadacci : Responsable des opérations au sol, ancien mineur

1
Orca-7459, système de la Tortue
25 juillet 2176
« Ici Orca-7459, vous me recevez ? »
La voix tremblante de Sara résonna dans le module.
« Nous sommes toujours là, Sara. Quel est le statut de ton côté ? »
La commandante relâcha ses épaules et poussa un long soupir : elles étaient toujours en vie. Mia n’avait rien.
Désormais, la priorité était double : ôter toute capacité de nuisance au Masterbot du M-Orca, et transférer le reste de l’équipage hors de son module. Mais comment faire tout cela sans éveiller ses soupçons ? L’Expert de l’Orca-7459 avait des oreilles partout, et en tant que Masterbot du M-Orca, il avait la capacité d’interagir avec n’importe lequel des modules.
Elle regarda Slow, toujours allongée à ses côtés, dans un état d’extrême fatigue.
« Je vais avoir besoin de vous ici, rejoignez-moi au plus vite », dit-elle d’un ton le plus détaché possible de peur de trahir un quelconque sentiment de panique. Par réflexe, elle regarda la caméra où l’œil rouge de l’Expert l’observait sûrement.
L’équipage ne répondit pas tout de suite. À la place, Sara entendit des chuchotements qu’elle n’arriva pas à distinguer. Puis, la voix de Malika se fit entendre :
« Bien reçu. J’arrive tout de suite. Les autres restent ici sous la protection de Caleb, en attendant que la situation se stabilise. »
Sara serra le poing : « J’insiste pour que vous veniez tous ici en renfort. J’ai besoin d’aide. C’est un code MES. »

Dans l’autre module, les trois femmes se regardèrent.
« C’est quoi, un code MES ? demanda Mia.
— Jamais entendu parler, fit Malika.
— Moi non plus, répondit Roxane en tordant la bouche. Ce n’est pas un code officiel, il n’a pas la bonne nomenclature. Soit Sara divague, soit elle veut nous faire comprendre quelque chose sans le dire explicitement. »
Malika interrogea du regard Caleb.
« Sara est entrée par le sas où se trouve emprisonnée Slow. Il est possible qu’elle soit tombée dans un guet-apens. Je ne vois que deux explications : soit cette demande est faite sous la menace, soit elle veut nous faire passer un message discrètement.
— Je suis d’accord avec ton analyse, mais que fait-on ?
— It’s a trap ! réagit Roxane. C’est un piège de Slow ! Pour une raison que j’ignore, elle veut tous nous rassembler à bord du M-Orca.
— Peut-être. Mais que signifie MES alors ?
— Le S est sans doute pour Slow. Méfiance Envers Slow ?
— Maîtrisez l’Ennemi Slow ? »
Caleb fit le tour de la salle et regarda à travers le hublot virtuel. Face à lui, à quelques dizaines de mètres de la coque, les autres modules du M-Orca tournaient avec une régularité apaisante.
« La situation est trop risquée. C’est à moi d’aller voir ce qu’il se passe. Je vais entrer par l’autre sas, opposé à celui de Slow. Je trouve Brock et ensemble, on ira dans le dernier module. Une fois sur place, je vous recontacte.
— Comment saurons-nous si tout va bien ? Si tu n’es pas sous la contrainte, toi aussi ?
— Si je commence ma phrase par Roxane, alors c’est que tout est OK et qu’il faut obéir à Sara. Sinon, il faudra vous méfier et ne pas croire à ce que je dis. D’accord ? »

Mia observa le militaire s’extraire du E-Orca et flotter en ligne droite jusqu’au sas opposé. Sa mère était-elle en danger ? Il faudrait attendre quelques minutes pour le savoir. Elle détourna le regard et l’Expert de bord mit une musique d’ambiance apaisante. Un rythme lent, quelques notes de piano. Malika leva les yeux et sourit à la jeune fille.
« Merci, James. Heureusement que tu es là, toi… »
Les trois femmes restèrent en silence jusqu’à ce qu’un grésillement interrompe la musique : c’était la voix de Caleb.
« Roxane, prépare tout le monde à rejoindre le M-Orca. On a besoin de vous toutes, ici. Maintenant ! Go ! »
La voix était rapide, un peu nerveuse, mais il avait commencé par son prénom, alors Roxane regarda Mia et sourit. Elles pouvaient les rejoindre là-bas sans crainte.

En arrivant par l’autre côté, Caleb avait cherché en vain Brock. Redoutant le pire, il avait traversé l’un après l’autre les sept modules vides du M-Orca. Arrivé devant la porte du dernier sas, il était entré arme au poing, prêt à réagir. Au milieu de la pièce, Brock, Leonhard et Mirror discutaient avec une Slow visiblement épuisée. La jeune femme ne semblait pas constituer une menace et la situation était sous contrôle. Il fut rapidement mis au courant de la situation puis demanda à ses collègues de quitter leur vaisseau.

Moins d’une demi-heure plus tard, l’E-Orca-7459, centre du cerveau malade du Masterbot, fut vidé de ses derniers occupants.
À peine arrivée dans le sas, Sara se jeta dans les bras de sa fille.
« Oh, Mia, j’ai eu si peur !
— Mais pourquoi maman, que se passe-t-il ? »
Malika se rapprocha et montra, d’un mouvement de menton, Slow, assise, adossée contre la paroi, la tête entre ses mains.
« Elle se repose, elle est extrêmement fatiguée. Mais ça va, ce n’est pas sa faute…
— Nous pensions qu’elle te prenait en otage. Ça voulait dire quoi, ton code MES ? »
Sara mit furtivement son doigt sur sa bouche et regarda Malika dans les yeux : « Je vais vous expliquer dans deux minutes… » Elle leva la tête et regarda le mur : « Masterbot, joue-nous le chant de baleines avec un volume huit.
— Désolé. Je n’ai pas ce son en mémoire. Voulez-vous des cris d’oiseaux à la place ?
— Non. Mets-nous plutôt Metal is the Paradise of Hell. »
Le morceau de hard rock débuta sur le son saturé d’une guitare électrique. Roxane grimaça et interrogea Sara du regard.
« Masterbot, monte le son. »
Roxane montra ses oreilles d’un mouvement de la main agacée. Pourquoi tout ce vacarme ?

Sara prit Mia, Malika et Roxane par les épaules et, en cercle, rapprocha sa tête des leurs jusqu’à les toucher. Elle regarda vers le sol pour masquer le mouvement de ses lèvres.
« Écoutez, les filles, on a un gros problème. Nous avons compris qui est le traître. Ce n’est pas Slow, mais le Masterbot du M-Orca. L’Expert de mon E-Orca. »
Roxane voulut se redresser, mais elle sentit la pression de Sara sur son dos, maintenant leur position en cercle, tête baissée.
« C’est lui qui a tout fomenté depuis le début. Slow m’en a apporté les preuves, on en reparlera plus tard. On ne sait pas pourquoi ni comment, mais notre priorité est désormais de lui retirer le contrôle du M-Orca. De lui ôter tout pouvoir de nuisance. Compris ? »
Les trois femmes hochèrent la tête.
« Je vous demande une très grande discrétion. N’oubliez pas qu’il entend tout et voit tout. S’il le décide, il peut redéclencher un sabotage à tout instant. Il va falloir agir très rapidement. »
Il y eut un silence approbateur, puis Mia demanda :
« Et MES alors ? ça voulait dire quoi ?
— Masterbot Est le Saboteur. C’est tout ce que j’ai trouvé sur le moment… »

2
M-Orca, système de la Tortue
26 juillet 2176
Un M-Orca (ou Multiple-Orca) est un ensemble de modules reliés entre eux par des sas en rotation sur leur axe et organisés suivant une certaine configuration physique. Dans l’expédition de la Tortue, la forme retenue était serpentine, c’est-à-dire que les huit modules étaient alignés pour faciliter les déplacements de l’équipage. D’autres configurations existent. Celle de l’Atomium, par exemple, est généralement employée dans des missions d’observation statiques, car elle permet davantage d’interactions entre les modules. En revanche, sa formation en structure cubique est un frein aux déplacements à grande vitesse.
Du point de vue logique, un des Experts de bord est choisi pour devenir le Masterbot du M-Orca. C’est le garant du bon fonctionnement de l’ensemble des systèmes constituants. Dans le jargon de l’Agence, l’Expert choisi récupère le token du Masterbot, c’est-à-dire un anneau unique pour gouverner tous les autres modules.
Concrètement, le Masterbot fédère les Experts des autres modules et a autorité sur eux. En termes techniques, on ne parle pas vraiment d’autorité, mais de droits plus élevés. Le Masterbot est leur référent : il est à la fois le « commandant », le chef d’orchestre, l’administrateur système et celui qui archive tout ce qui se passe à bord des autres modules. Il a des yeux et des oreilles déportés dans chaque salle et voit passer toutes les communications. Il est la clef de voûte du système d’information d’un vaisseau spatial.
Sans Masterbot, un M-Orca n’est pas opérant, à moins de redonner leur indépendance à chaque module.
Aussi, déconnecter un Masterbot, lui retirer ses attributs système ou son token, n’est pas une procédure standard documentée. En temps normal, il n’y a d’ailleurs aucune raison de le faire. La seule explication serait une panne qui l’empêcherait de réaliser ses missions. Mais là encore, un garde-fou scrute à intervalles réguliers les performances du Masterbot pour le redémarrer au besoin. Ce watchdog (ou « chien de garde » dans la documentation française de l’Institut) fait partie de l’ensemble des codes informatiques d’un Masterbot. En cas de panne sévère, ce bout de code rudimentaire détecte l’absence de réaction du logiciel principal et lance la procédure d’arrêt. C’est d’ailleurs ce qui s’était passé lors du crash de l’Explorer-Orca sur Tortue-B.
Ensuite, si aucun humain n’intervient au bout d’un certain temps, le système déclenche une procédure de résilience et redémarre tout seul. Le logiciel opère alors des fonctions autoréparatrices consistant à se réinitialiser avec son code d’origine. Les informations de contexte sont conservées, mais l’altération du logiciel, si elle a eu lieu, est corrigée. Ce protocole de récupération était déjà en place lors du vol inaugural du Donkey I, et a eu le temps de faire ses preuves depuis.

Dans la salle de repos de l’Orca-7461, Malika avait attaché un vaste drap entre quatre chaises à la manière d’une cabane d’enfant. En dessous, telles des Indiennes sous leur tipi, les six femmes chuchotaient. Une musique d’ambiance masquait leurs paroles. Ici, elles étaient à l’abri des indiscrétions du Masterbot.
« Il doit bien y avoir une solution, quand même ! s’indigna Mia. Comment les ingénieurs de l’Institut ont-ils pu oublier cette fonction de déconnexion ?
— Disons qu’on n’a jamais vu un Expert de bord devenir fou et tuer ses occupants. En revanche, cette impossibilité à le destituer est un excellent mécanisme de protection contre un membre de l’équipage qui aurait pété un câble.
— Genre, je veux voler l’anneau unique pour que mon Orca devienne le Masterbot ?
— Par exemple.
— En gros, on a prévu la folie des hommes, mais pas celle des Experts.
— Oui. Ça t’étonne ?
— Il faut bien avouer qu’il s’agit d’un comportement inédit, compléta Slow, désormais remise de ses émotions. Je ne comprends même pas comment il a pu faire preuve d’autant d’initiative en étant déconnecté d’un centre de calcul quantique. C’est vraiment très curieux… »
Mirror abonda dans son sens : « Je te confirme que dans cette strate, aucune communication vers la Terre n’est possible ! »
Slow ignora cette évidence et secoua la tête.
« C’est tout bonnement incompréhensible. Il n’a aucun moyen d’être si intelligent. Il doit y avoir quelque chose qui nous échappe.
— On débattra sur le pourquoi et le comment plus tard, conclut Sara. Notre priorité est de mettre ce logiciel hors d’état de nuire. En l’absence de procédure, avez-vous des idées ?
— On a regardé dans les dossiers d’Arina ? C’était elle, l’ingénieure systémique.
— Oui. Rien trouvé non plus.
— Et dans la fondation SCP ? » demanda Mirror.

Cette question fit sourire Slow. La fondation SCP était une vieille organisation qui opérait depuis plus de cent cinquante ans. Son trigramme résumait ses trois missions : sécuriser, contenir et protéger. Elle regorgeait de centaines de milliers de procédures de confinement spéciales pour protéger la Terre ou ses habitants d’une menace interne ou externe. Partie initialement d’un délire de passionnés de science-fiction, elle était devenue avec le temps un organisme respecté pour la richesse de sa base documentaire. À côté de textes insolites décrivant les procédures d’isolement d’un superhéros mutant particulièrement méchant, il existait des trésors d’inventivité dans ces fiches dont l’EPON ou même l’Institut s’inspiraient pour anticiper des scénarios catastrophes. Ce gigantesque travail de prospective tous azimuts alimentait les réflexions stratégiques, opérationnelles et même technologiques de nombreux acteurs. Même les ingénieurs de TT-Bot, quand ils avaient réfléchi aux concepts de robots insectoïdes, avaient eu recours à la fondation SCP pour définir des protocoles d’endiguement en cas de prolifération incontrôlée.
Existait-il dans cette base monumentale une fiche décrivant comment se protéger d’un Masterbot devenu un fou criminel ? Sans doute ; des centaines de milliers de fiches avaient été écrites, y compris sur des scénarios bien plus improbables que celui-ci. Malheureusement, dans cette strate de l’univers, l’accès aux registres de la fondation SCP était impossible. Et même si le Masterbot avait dans sa mémoire un extrait de la base, comment l’interroger sans qu’il s’en aperçoive ? Paradoxalement, la fondation SCP n’avait pas prévu ce cas-là : comment se protéger de l’ordinateur qui permettait de consulter ses fiches ?

« Il n’y a pas trente-six solutions, fit Slow. Il faut détruire physiquement l’Orca-7459. Le faire exploser. »
Un murmure de désapprobation enfla sous la tente. Sara leva la main pour apaiser les esprits.
« J’ai déjà réfléchi à cette solution : au-delà de la faisabilité technique, il y a une autre question… C’est notre seul module d’exploration restant. Si on le perd, il nous est impossible de redescendre sur Tortue-B. L’expédition est terminée, on rentre directement à la maison.
— Et le vaisseau de Helmut qui est resté sur le lieu du crash ?
— N’y pense même pas. Il est encastré dans le sol sur plusieurs mètres. La poussée du moteur n’est pas dans la bonne direction pour nous aider. Et puis les ailettes de portance ne se sont pas rétractées au moment de l’impact. Elles sont inutilisables. Il n’y a rien à en tirer.
— On ne peut pas transférer la mémoire de leur Expert vers le nôtre ? Inverser leurs logiciels ? »
Slow secoua la tête.
« Non, ça ne fonctionne pas comme ça. »
Mirror confirma. Il y eut quelques secondes de silence, avant que Roxane n’interpelle la commandante : « De toute façon, tu comptes vraiment continuer la mission ? Il nous manque un bactériologiste, un zoologiste confirmé, une physicienne et une chimiste. Ça commence à faire beaucoup pour une expédition scientifique, non ? Pour ma part, j’ai fait mon rapport préliminaire. Mia n’a rien trouvé sur ses carottages. Je ne vois vraiment pas ce que l’on peut espérer de plus.
— J’ai jeté un œil aux procédures d’Eerika et d’Åsa, ajouta Slow. Roxane a raison, c’est incompréhensible. Cela demande une expertise que nous n’avons pas.
— Moi, je n’ai pas commencé mon protocole de tests, murmura Mirror. Je ne suis pas descendue sur Tortue-B. Je n’ai que les quelques mesures de rayonnement que vous avez fait aux abords du dôme de la Méduse. Plus, bien entendu, les enregistrements optiques qui sont, je pense, la chose la plus intéressante à analyser… »
Tout le monde approuva d’un mouvement de tête silencieux et les regards convergèrent vers Sara. Assises en tailleur, la lumière tamisée par le drap, les six femmes semblaient former un conseil de sages. À défaut, c’était le conseil scientifique de l’expédition.
Après un laps de temps, Malika relança la conversation :
« Quand bien même nous aurions les compétences, je nous vois mal redescendre là-bas avec cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Confier notre sort à un Masterbot psychopathe, très peu pour moi…
— S’il faut choisir entre notre survie et l’accomplissement de la mission, le choix va être facile. Six morts, c’est déjà six morts de trop, vous ne trouvez pas ? »
Sara soupira longuement. Les filles avaient raison, même si, au fond d’elle, elle aurait tellement aimé mener à bien cette expédition.
« Votons. Qui est pour la destruction du E-Orca et le retour au bercail ? »
Six mains se levèrent et Sara valida la décision d’un mouvement de menton.
« C’est acté. Mais avant de le faire, j’aimerais conserver les traces de sa mémoire. Il faut que nous puissions comprendre ce qui a conduit à cette situation. Est-ce un bug, un sabotage ou une action délibérée de sa part…
— Comment peux-tu parler d’action délibérée ? réagit Malika. Il y a le code premier. Jamais un Expert ne pourrait se retourner contre des humains. »
Slow et Sara échangèrent un regard. D’un commun accord, elles avaient décidé de ne rien révéler au sujet des plafonds de Tao. Il fallait d’abord tirer la situation au clair.
« Je ne sais pas, répondit Sara d’une voix blanche. Mais face à cette situation inédite, nous ne pouvons écarter aucune piste. Slow, c’est faisable de conserver sa mémoire ?
— Oui, il faut l’extraire, la dupliquer sur un support externe. Sur Terre, les experts de l’Institut pourront l’analyser en profondeur, ce que l’on appelle un forensique, pour déterminer la cause du dysfonctionnement.
— On ne pourra pas le savoir avant ?
— C’est une tâche pointue. Personnellement, je ne sais pas faire, et je doute que quelqu’un ici en soit capable. »
Slow interrogea Mirror du regard qui secoua la tête pour signifier son impuissance.
« Peux-tu extraire sa mémoire sans qu’il s’en aperçoive ? demanda Sara
— Non. Le Masterbot sera forcément informé qu’un processus cherche à dumper sa mémoire.
— C’est un problème ? »
Slow balança sa tête de droite à gauche : « Oui, ça peut. Il va forcément se douter de quelque chose…»

3
M-Orca, système de la Tortue
26 juillet 2176
Sara n’arrivait toujours pas à comprendre pourquoi personne ne pouvait expliquer le cœur des machines. Après tout, ces logiciels avaient bien été développés par des humains. Des gens qui avaient programmé ligne après ligne le comportement souhaité de ces maudits grille-pain. Pourquoi ces mêmes personnes ne pouvaient-elles pas détricoter le fil de la pensée des Experts et faire le lien avec chaque ligne du code source ?
Quand elle dit ça à Slow, la jeune femme l’avait regardée, comme si elle venait de lui affirmer que la Terre était plate.
Les technologies étaient devenues trop complexes pour le commun des mortels. À l’école, les savoirs enseignés étaient toujours ceux du début du XXe siècle. Ceux qui permettaient de comprendre le b. a.-ba des mathématiques, des lois physiques observables et de quelques bizarreries comme l’électricité ou la lumière. Tout le reste était devenu une affaire d’ultra-spécialistes. Le développement logiciel était une de ces sciences devenues obscures pour la grande majorité de la population. Au milieu du XXIe siècle, cela ne choquait plus grand monde et contribuait même à ce détachement progressif des sciences, illustré par ce dicton populaire : « Si ton cerveau est essentiel à ton métier, alors tu seras un jour ou l’autre remplacé par un Expert. Si tu utilises ton cœur, tu n’as rien à craindre. »
À cause de cela, des générations entières d’étudiants s’étaient détournées des sciences au profit de sujets plus d’actualité : le climat, le bien-vivre ensemble, le social, les systèmes frugaux et la nouvelle économie. Puis vinrent les événements climatiques que l’on connaît. Ainsi, à la sortie de la Grande Migration, l’humanité se retrouva dans un état de méconnaissance scientifique préoccupant, que certains qualifièrent de régression.
La majorité des gens ne comprenaient plus comment fonctionnaient les équipements de leur quotidien : les lois de Maxwell qui pilotaient l’électromagnétisme des télécommandes, la théorie quantique à la base des Experts et des Sofia, sans parler de la fusion nucléaire qui avait pourtant réglé le problème énergétique mondial.
Un temps redouté, l’obscurantisme ne fit pourtant pas son grand retour. Certes, il existait toujours, de-ci de-là, de grands mystiques, des adeptes de la sorcellerie et des phénomènes occultes, mais principalement, les gens s’étaient faits à l’idée que tout n’était pas facilement explicable. Qu’importe de savoir comment un véhicule de catégorie deux fonctionne, du moment qu’il nous transporte quelque part ? On avait enfin accès à une énergie propre, et ce simple qualificatif suffisait. Les Sofia s’occupaient de nos enfants ; que demander de plus ?
Et puis après tout, était-ce si grave que cela ? Était-ce si nouveau ?

À propos de l’auteur

Pierre Raufast © Photo Philippe Matsas

Pierre Raufast est né à Marseille en 1973. Depuis son premier roman, La Fractale des raviolis (prix de la Bastide et prix Talents Cultura 2014), il se plaît à jouer avec les structures narratives. Quand il n’écrit pas, il travaille dans la cybersécurité (et vice versa). (Source: Éditions Aux Forges de Vulcain)

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